Manager, burnout et COVID : attention spoiler !

Savez-vous que cela fait déjà 15 ans que Shonda Rhimes a créé la série Grey’s Anatomy ?

Pour celles et ceux qui ne connaissent ni l’une ni l’autre, Shonda Rhimes est une prolifique réalisatrice, productrice et scénariste américaine. « The Queen of Television », comme on l’appelle là-bas, est à l’origine de séries à succès comme Private Practice, Scandal ou encore plus récemment La Chronique des Bridgerton (actuellement sur Netflix).

Shonda Rhimes

C’est plus particulièrement la série Grey’s Anatomy qui l’a révélée au grand public. On y suit la vie d’un petit groupe de chirurgiens d’un hôpital universitaire : le Grey-Sloan Memorial Hospital. Soyons honnête : ce ne sont pas tant les cas médicaux rencontrés qui intéressent les téléspectateurs, mais plutôt l’évolution des personnages : leur carrière, leur vie personnelle et surtout leur vie sentimentale.

Grey’s Anatomy est l’une des 10 séries les plus suivies au monde. Rien qu’en France, ce sont plus de 3 millions de téléspectateurs qui ont suivi en novembre 2020 le dernier épisode de la 16e saison sur TF1. Pandémie oblige, il va falloir patienter un peu pour continuer à suivre les aventures de Meredith, Miranda, Jackson et les autres. En effet, la situation sanitaire a évidemment eu des impacts à Holllywood comme ailleurs, notamment avec des interruptions de tournages.

Pour autant, les premiers épisodes de la 17e saison ont déjà été diffusés aux Etats-Unis. Les scénaristes ont décidé d’ancrer la série dans notre triste réalité puisqu’on y verra l’équipe du Grey-Sloan Memorial Hospital évoluer au cœur de la gestion de la crise pandémique. Et attention au spoiler : l’un de nos personnages préférés va se retrouver entre la vie et la mort à cause de ce satané virus…  

Mais on y verra surtout comment l’équipe est littéralement exténuée du fait de devoir s’occuper des patients « classiques » auxquels s’ajoutent ceux, de plus en plus nombreux, atteints de la COVID-19.

Grey’s anatomy, trailer de la 17e saison

Là aussi, la série s’inspire de faits réels. Dans une enquête réalisée fin 2020 par Medscape, site d’information pour les médecins et les professionnels de santé, la moitié des médecins interrogés (51%) affirmaient présenter des symptômes de burnout et 63% d’entre eux estimaient que la crise sanitaire avait aggravé ces symptômes.

On pourrait décliner ainsi toute une série d’enquêtes qui montrent cette même tendance dans un grand nombre de professions et de secteurs d’activités.

C’est qu’avec les nouvelles organisations du travail que la pandémie a catalysée, les entreprises découvrent que tous les salariés ne sont pas égaux face au télétravail, par exemple. De même, l’impact émotionnel de la crise diffère d’une personne à l’autre. Pour reprendre les mots de la psychologue du travail Isabelle Estienne, « la pandémie du coronavirus est un évènement anodin pour certains, dramatique ou encore mobilisant la vigilance pour d’autres » (Acteurs publics, octobre 2020).

Ainsi, combiné à des difficultés d’articulation entre vie privée et vie professionnelle, y compris pour les managers eux-mêmes, l’impact psycho-émotionnel de la crise sanitaire est une source légitime de préoccupation pour beaucoup d’entre nous.

Beaucoup d’employeurs se sont donc très justement émus de l’augmentation des risques d’isolement et de surcharge des salariés, y compris dans le secteur public : dans une enquête conduite par l’Ifop pour Acteurs publics et Sofaxis en octobre 2020, plus d’un tiers (35 %) des fonctionnaires considéraient que la pandémie était responsable d’une dégradation des conditions de travail.

Alors qu’une troisième vague pointe le bout de son nez, on repense à la situation de novembre 2020, en plein reconfinement : une enquête particulièrement médiatisée révélait que près d’un salarié sur deux était en situation de détresse psychologique. Selon cette étude, un tiers des salariés était même en état d’épuisement émotionnel sévère et 5 % en burnout.

Mais qu’entend-on par burnout exactement ? Comment le reconnaître – chez ses collaborateurs mais aussi chez soi-même ? Comment l’éviter et comment s’en sortir ?

Vaste sujet auquel lebilletdumanager.com s’attaque dans une nouvelle série d’articles. Car le syndrome d’épuisement professionnel, au-delà de la problématique de santé publique, dit beaucoup de choses sur nos métiers de managers, sur notre conception de la société, sur notre civilisation et même – comme toute crise – sur nos capacités à nous transformer.

Meredith Grey, jouée par Ellen Pompeo

L’insidieux effondrement

En anglais, le terme burn out renvoie à l’idée de « se consumer » (to burn signifiant « brûler »). A juste titre, puisque les témoignages font souvent écho à une impression d’avoir été consumé de toutes ses forces vitales, et d’être laissé exsangue après ce qui est décrit comme un effondrement.

Mais l’effondrement n’arrive pas comme cela du jour au lendemain. Le chemin vers le burnout est insidieux.

Le processus peut durer des mois, voire des années avant que la tête et/ou le corps ne défaille. Et très souvent, le sujet ignore les signes avant-coureurs.

Le déni est en effet typique de l’épuisement professionnel car dans la tête de la « victime », le burn out est souvent vécu comme un échec. La posture de déni peut aussi se comprendre comme un mécanisme de défense qui sert à se protéger : admettre le burn-out, c’est admettre que l’on est faillible.

« Je vais bien, tout va bien, je suis gai, tout me plait. » Dany Boon

On estime ainsi à 25 % les salariés qui n’arrivent pas à estimer correctement leur risque de burnout, soit qu’ils sous-estiment ou, plus rarement, qu’ils surestiment le risque. Pis, ce sont 12 % des actifs en situation de burnout qui ne s’estiment pas du tout concernés par le sujet…

Pourtant, même si l’on ne compte « que » 30 000 cas avérés au niveau national, ce sont 12 % de la population active qui serait en risque élevé de burnout, selon une étude de 2014 qui fait encore aujourd’hui référence (Cabinet Technologia). Autrement dit : on parle de 3,2 millions de Français à risque !

De multiples symptômes

Indépendamment de la problématique du déni, les signaux précurseurs du burnout sont de toute façon très mal identifiés par les premiers concernés, ce qui n’aide pas non plus. C’est le cas chez les salariés, mais la proportion est encore plus importante chez les agriculteurs exploitants, chez les artisans, commerçants et chefs d’entreprise, ainsi que chez les cadres et professions intellectuelles.

C’est pourquoi l’on considère que le burnout a « une antichambre » le burn-in. C’est ce que le psychologue Adrien Chignard décrit comme une phase qui se traduit par du présentéisme : la personne est sur son lieu de travail alors qu’elle devrait déjà être arrêtée. Un peu comme si le voyant d’essence s’allumait car on est sur la réserve mais qu’on continue à rouler, voire à accélérer.

Les symptômes physiques sont les plus fréquents. Rien d’étonnant à cela dans la mesure où le travail passe par « un engagement du corps », pour reprendre la formule du chercheur en médecine et santé au travail Philippe Davezies. Selon lui, le corps est une « mémoire vivante des expériences de plaisir et de souffrance ».

Alors comment reconnaître ces signaux ?

Eh bien les manifestations sur la santé physique sont assez variées mais parmi les principales, on retrouve les suivantes :

  • Troubles du sommeil,
  • Fatigue chronique,
  • Tensions musculaires,
  • Perte ou prise de poids,
  • Maux de tête,
  • Nausées,
  • Vertiges,
  • Douleurs dorsales…

Par ailleurs, l’épuisement professionnel se caractérisent aussi par des manifestations d’ordre psycho-émotionnel :

  • Manifestations émotionnelles, comme l’anxiété, la tension nerveuse,
  • Manifestations cognitives, comme la diminution de la capacité de traitement de l’information,
  • Manifestations comportementales – repli sur soi, agressivité…,
  • Et manifestations motivationnelles, à l’image d’un désengagement ou d’une dévalorisation de soi.

Confusion des genres

Cette diversité de manifestations contribue parfois à une certaine confusion avec d’autres pathologies comme le stress chronique ou encore la dépression nerveuse. Il ne s’agit pas toutefois exactement des mêmes maux.

Stress et burnout

Le stress désigne une réaction d’adaptation à une perturbation de l’équilibre mental et du bien-être. Lorsqu’il se manifeste, par exemple face à un examen, un entretien ou une présentation, le corps et l’esprit tentent de monopoliser toutes ses facultés pour dominer la situation ou, à l’inverse, pour y échapper.

Chacun ressent et combat le stress de manière différente mais il s’agit d’une réaction normale. Le stress n’est pas mauvais en soi.

C’est quand l’exposition au stress est prolongée et que son intensité est importante qu’il peut être dangereux. Le burnout peut être l’une des réponses possibles à une situation de stress chronique, mais ce n’est pas la seule.

Burnout et dépression 

Contrairement à des pathologies bien établies comme la dépression, qui découle d’un diagnostic sur un état, le burnout est un processus aboutissant à un effondrement de l’individu.

C’est ce qu’a rappelé une récente mission d’information de l’Assemblée nationale dans son rapport de 2017 dédié à l’épuisement professionnel.

 « Même si des symptômes communs existent, le burn out […] s’exprime en premier lieu dans la sphère professionnelle avant éventuellement de déborder vers la sphère personnelle, tandis que la dépression s’étend à tous les aspects de la vie. », Mission d’information de l’Assemblée nationale, 2017 

Le burnout, lui, se définit comme un état d’épuisement professionnel (à la fois émotionnel, physique et psychique) ressenti face à des situations de travail « émotionnellement » exigeantes. 

Photo de cottonbro sur Pexels.com

Psychologie du burnout

La mécanique du burnout a fait l’objet de nombreuses recherches, notamment des années 1970. C’est le psychiatre et psychothérapeute américain Herbet Freundenberger qui en propose la première analyse solide, à l’origine pour décrire l’état d’épuisement physique et psychique de bénévoles new-yorkais qui accompagnaient des toxicomanes. Confrontés à une surcharge de travail et à une souffrance éthique consécutive à un investissement professionnel intense, ils finissaient par manifester des troubles émotionnels et des symptômes physiques d’épuisement.

Ce sont ensuite les travaux de Christina Maslach et de l’équipe de psychologie de l’Université de Berkeley aux Etats-Unis, qui apportent une autre contribution substantielle à la compréhension du syndrome.

Avec le psychologue Michael Leiter, Christina Maslach met en lumière trois dimensions constitutives de l’épuisement professionnel :

  • D’abord, l’épuisement émotionnel (stress, absence d’énergie, fatigue, irritabilité, impulsivité),
  • Ensuite, la dépersonnalisation ou déshumanisation de la relation (désengagement relationnel, mise à distance, réification de l’entourage et des tiers, perte des idéaux, cynisme),
  • Enfin, la perte du sentiment d’accomplissement personnel (sentiment d’inefficacité et d’incompétence, dévalorisation, etc.).

Ces dimensions peuvent être vues comme des étapes, c’est-à-dire que la première étape doit se réaliser, avant que la deuxième n’apparaisse et ainsi de suite.

Au-delà des travaux de Freudenberger, Maslach et Leiter, il existe en réalité de nombreux modèles du burnout. Ce qui fait leur point commun, c’est que tous convergent vers le fait que, si la fatigue physique est toujours présente, c’est l’épuisement émotionnel qui reste au cœur du burnout.

Une « maladie du travail »

Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’épuisement professionnel fait « spécifiquement référence à des phénomènes relatifs au contexte professionnel et ne doit pas être utilisé pour décrire des expériences dans d’autres domaines de la vie ».

Il est vrai que malgré la diversité des manifestations du burnout, le lien entre burnout et travail est fait dire à d’aucun qu’il s’agit d’une « maladie du travail ».  

C’est aussi l’esprit des conclusions de la mission d’information parlementaire de 2017 qui indique dans son rapport que « toutes [les situations de burnout avérées] ont un rapport plus ou moins direct avec l’activité professionnelle : conditions d’exercices du travail, relations avec la hiérarchie et avec ses collègues, interactions avec les clients ou les usagers lorsqu’il s’agit du service public, etc. »

Pourtant, l’on voit de plus en plus de témoignages de nouvelles formes d’épuisements : burnouts parentaux, burnouts d’étudiants, de sportifs amateurs, etc. La presse managériale et psychologique grand public en fait régulièrement état.

Photo de Ketut Subiyanto sur Pexels.com

Certains chiffres sont parfois avancés : on estime par exemple à 5 % les parents qui seraient en burnout parental.

Mais à ce jour, peu de recherches ont été faites sur ces sujets qui émergent du terrain et de praticiens comme des psychologues et des sophrologues.

Le bore out

A l’inverse du burn-out, le bore-out trouve son origine dans une sous-charge de travail : l’absence d’activité et d’objectifs conduisent à un désengagement, à la frustration et in fine à un isolement et à un profond ennui.

Les Suisses Peter Werder et Philippe Rothlin, conseillers en organisation et à l’origine d’une théorisation du phénomène, identifient trois dimensions permettant de comprendre la mécanique du bore out :

  • La sous-stimulation,
  • Le désintérêt,
  • La résignation.

Le bore out apparaît ainsi par exemple lorsque la routine est devenue trop prégnante et fait disparaître toute stimulation et toute étincelle d’enthousiasme pour ses missions. Une situation qui peut arriver assez rapidement lorsque l’on se voit confier des tâches bien en-deçà de ce que l’on considère être capable de réaliser.

Le brown out

Plus récemment, on a vu apparaitre dans la presse managériale le phénomène du brown out.

Nicolas Santolaria, journaliste au Monde, en donne une définition aussi juste que cinglante : une « baisse de courant psychique […] envisagée comme une sorte de dévitalisation provoquée par l’absurdité quotidienne des tâches à accomplir ».

Comme dans le bore out, le brown out se caractérise par une forme de lassitude. Il peut aussi s’exprimer à travers un cynisme inhabituel, comme dans le burn out cette fois. Mais à la différence de ce dernier, il n’y a pas de panne sèche brutale.  Il s’agit plutôt d’un mal être existentiel.

Une telle situation peut par exemple concerner la jeune recrue qui s’imaginait monts et merveille au moment de l’embauche, et qui se retrouve fort dépitée par l’écart entre les attentes et la réalité du travail.

La déception est également présente lorsque les missions se transforment. C’est par exemple le cas lorsque l’on grimpe dans la hiérarchie : d’expert, on devient manager… La représentation prend plus de place, notamment auprès des clients et des partenaires, et on s’éloigne ainsi du terrain.

Quoiqu’il en soit, et au contraire du burnout, bore out et brown out n’ont pas été encore abondamment investis par le champ de la recherche.

Les victimes du burnout : qui sont-elles ?

En revanche, pour revenir au cœur de notre sujet, beaucoup de recherches ont été faites pour essayer de mieux comprendre qui pouvait être touché par un burnout. D’autant plus que l’épuisement professionnel véhicule un certain nombre de fantasme et d’aprioris.

Photo de Eva Elijas sur Pexels.com

Une maladie des cadres ?

On l’entend souvent : « le burnout touche les professions à responsabilités, les managers, les cadres… »

Il est vrai qu’à l’origine, l’épuisement professionnel a pu être considéré comme « la maladie des cadres », en particulier dans le contexte de l’essors des « yuppies »(young urban professionnals).

S’ils restent particulièrement concernés, le burnout touche désormais l’ensemble des professions. En réalité, on note même une prévalence plus importante chez les travailleurs exposés au public. Ce qui s’explique notamment parce que pour ces « travailleurs de première ligne », la latitude décisionnelle et l’autonomie sont souvent faibles.

Ce sont des métiers qui ont été moins explorés dans le passé mais qui sont désormais l’objet de recherches, ce qui d’autant plus pertinent qu’ils représentent des effectifs plus nombreux.

Une maladie genrée ?

Le genre n’apparaît pas être un élément déterminant dans l’apparition du burnout : la plupart des études n’établissent que de très faibles différences.

En revanche, il est vrai que, d’une façon générale, les femmes sont davantage exposées que les hommes aux risques psychosociaux du fait de leur surreprésentation dans certaines professions : commerces, services, etc. Elles font donc plus souvent face à des situations de travail fragilisantes pour la santé mentale (exposition au public, notamment).

On peut toutefois utilement rappeler que certaines professions occupant des effectifs principalement masculins sont également (et malheureusement !) un terrain de recherche intéressant pour de nombreux spécialistes du burnout : policiers, pompiers, etc.

Une maladie de célibataires ?

Les environnements familiaux et amicaux sont reconnus comme étant des ressources défensives contre le risque d’épuisement professionnel.  

Le chercheur Philippe Zawieja explique ainsi que « le célibat accroîtrait les scores d’épuisement émotionnel dans plusieurs études […]. Avoir une famille procurerait une relative protection : plus âgé, plus stable, plus mature, le sujet serait rompu à la gestion des petits conflits interpersonnels et émotionnels, mais également plus réaliste et moins idéaliste – à la condition toutefois que l’équilibre entre la sphère familiale et la vie professionnelle demeure assurée. »

Rappelons néanmoins que si la famille peut être une barrière protectrice, celle-ci peut aussi s’inverser, si jamais l’environnement familial est nocif, par exemple.

Une maladie des fragiles ?

Les caractéristiques personnelles peuvent jouer un rôle dans la mécanique du burnout. Mais l’environnement et l’organisation du travail en sont les principaux responsables. C’est pourquoi il serait faux d’imaginer que l’épuisement professionnel n’apparaît que du fait de faiblesses personnelles préexistantes.

La diminution ou l’atténuation des troubles liés à l’épuisement professionnel passe donc d’abord par une analyse des dysfonctionnements des organisations et des relations de travail. « Psychologiser » à outrance le burnout conduirait à privilégier une origine personnelle et à ignorer totalement la dimension collective du phénomène.

Une maladie pour « workaholics » ?

L’engagement professionnel n’est pas en soi un facteur de risque. A contrario, le surengagement (ou surinvestissement) en est un.

Celui-ci se traduit souvent par des comportements comme une hyper-disponibilité ou une hyper-connexion. La disparition des frontières entre vie personnel et vie professionnelle qui en découle est l’une des causes pouvant conduire à l’épuisement professionnel. Le smartphone, en particulier, conduit certains travailleurs à être connectés en quasi-permanence au travail, y compris sur les heures de repos, les week-ends et en vacances. L’impact peut être bref, mais si la situation s’installe dans la durée, les déséquilibres viennent perturber l’équilibre entre les temps professionnels et privés, avec des conséquences en cascade : « culpabilité, difficultés relationnelles, intra-familiales, fatigue chronique, troubles du sommeil et de l’alimentation, troubles cardio-vasculaires, épuisement… »

 « Il n’est nullement besoin de travailler de manière compulsive pour connaître un épuisement professionnel. Une crise de sens, une absence de soutien à un moment de crise, un déficit de management ou un management défectueux peuvent également engendrer un syndrome d’épuisement professionnel. » Mission d’information de l’Assemblée nationale, 2017

Une histoire de fatigue

« Le travail, c’est la santé », chantait Henri Salvador.

Pourtant, il est vrai que la naissance du travail s’est toujours accompagnée d’une littérature sur les conséquences négatives du travail.

L’industrialisation, avec la mise en place du fordisme et du taylorisme, a creusé cette mise en regard. Les nouveaux rythmes, la cadence et les machines ont conduit les ouvriers à dépenser plus d’énergie qu’ils ne peuvent en générer. C’est ainsi que le temps devient une valeur centrale et substantielle du travail et que la fatiguefait son apparition dans la littérature scientifique.

Il s’agit cependant encore d’une approche de la fatigue sous l’angle du travail physique. C’est Charlie Chaplin dans Les Temps modernes (1936) : l’ouvrier à la chaîne se bat physiquement contre la machine, engage son corps dans cette lutte acharnée et finit par s’épuiser.

Les évolutions technologiques et la société des services donnent finalement naissance au surmenage.

Le terme apparaît dans le Dictionnaire du sport français de 1972. Il désigne un jockey qui, pendant la première partie de la course, mène son cheval à un train trop rapide par rapport à la distance qui lui reste à accomplir. Or, c’est bien ce qui caractérise les années 1970 : celui d’un monde qui va trop vite et qui déborde. Le surmenage est le symptôme d’une transformation du monde liée à une accélération, à du surplus et à du « trop » ; il renvoie à une idée de débordement et d’excès…

Puis, progressivement, la société contemporaine crée un sentiment jusqu’alors inédit : celui du « mal-être ». Selon l’historien Georges Vigarello, celui-ci traduit un sentiment d’inadaptation au monde.  On voit apparaître ce que l’historien qualifie de « fatigue de civilisation » marquée par une perte de sens.

En effet, de l’invention du sens naît une exigence nouvelle : celle de l’identité qui doit se réaliser, alors même que les heures de travail à réaliser décroissent du fait des progrès du droit social et du droit du travail. Cette attente fondamentale crée ainsi une nouvelle forme de fatigue liée à l’attente de sens, de reconnaissance, et à celle d’exister comme individu.

C’est cette prise de conscience qui vient enrichir l’histoire de la fatigue et qui ouvre la voie à la qualification de nouveaux maux… comme le burnout.

Une « pathologie de civilisation » 

Symptomatique d’une « culture du trop », le burnout est donc caractéristique des sociétés contemporaines.

C’est aussi la thèse du philosophe Pascal Chabot qui décrit le burnout comme une « pathologie de civilisation ». Une thèse qui reprend le constat que posait Sigmund Freud à la fin de sa vie. Pour Freud, la modernité portait en effet avec elle les germes d’une grande complexité pour trois métiers essentiels : les métiers du soin, de l’éducation et du gouvernement. Et force est de constater que ces trois métiers sont aujourd’hui bel et bien en crise, comme le pressentait Freud.

Dans la « pathologie de civilisation » qu’est le burnout, il y a d’un côté ces métiers dits « de l’humain » qui sont mâtinés de sens et tiennent compte de la fragilité humaine. C’est ce qu’illustre pleinement la société du care, remise en lumière par la crise sanitaire actuelle.

De l’autre, il y a l’univers perfectionniste qui caractérise la civilisation « techno-scientifique » dans laquelle nous vivons désormais. Dans cette société, le résultat du travail cherche la perfection, articulée autour du progrès technique, scientifique et économique.

Or, le soin, l’enseignement et le gouvernement ne peuvent donner des résultats exacts et parfaits. Leur exercice se heurte donc à ce nouvel imaginaire contemporain qui repose sur une accélération du temps devenue source d’aliénation et sur la recherche d’un « progrès utile ». Le burnout naît du conflit entre ces pressions et la recherche d’un progrès plus « subtile » qui caractérise notamment le soin, l’éducation et le gouvernement – métiers tutélaires de l’humanisme classique.

« La sphère fragile de l’humain connaît une pression énorme de la part des puissances techniques et économiques. Elle ne peut se prévaloir de résultats aussi manifestes qu’un pont superbe, ou qu’une usine performante. » Pascal Chabot, Global burn out

Pour le philosophe, le burnout peut donc se lire comme un révélateur de sociétés qui misent beaucoup sur des aspects matériels, scientifiques et économiques et qui doivent repenser le progrès humain.

Et l’humain, dans tout ça ?

Aussi vaste soit l’écho de l’épuisement professionnel, qui vient interroger jusqu’aux fondements de notre civilisation, la bonne nouvelle est d’abord que le burnout n’est pas une fatalité.

D’abord, parce que – les prochains articles du billetdumanager.com essaieront de le montrer, on peut le prévenir individuellement et surtout collectivement – comme on peut, plus généralement, prévenir les « fameux » risques psycho-sociaux (ou RPS).

Ensuite, parce qu’on peut s’en sortir. Il existe de nombreux témoignages en la matière.

La réalisatrice Elsa Fayner, a notamment tourné en 2017 un documentaire basé sur les témoignages de cinq victimes d’épuisement professionnel : une cadre bancaire, un cuisinier, une assistante sociale, un travailleur humanitaire et un berger. Partager leurs mots, aussi édifiants que dignes, me paraît être la meilleure façon de clore ce billet :

La Mécanique du Burn-Out, documentaire d’Elsa Fayner, 2017

POUR EN SAVOIR PLUS :

Burnout des médecins français : enquête 2020 

Interview d’Adrien Chignard, Psychologue du travail et des organisations, Psychologies.com (23 juillet 2018)

Etude « Where is my mind ? Pourquoi les salariés sont tentés de nier le burn out », Le Lab RH-Moodwork, sous la direction de Jean PRALONG, 2017

« Job Burnout Inventory », Moïra Mikolajczak, Thomas Pirsoul et Isabelle Roskam, Université catholique de Louvain

« Charge de travail et enjeux de santé », Philippe Davezies, intervention au colloque « Négocier la charge de travail entre performance, organisation et conditions de travail », organisée par l’ANACT, le 19 septembre 2001

« Guide d’aide à la prévention. Le syndrome d’épuisement professionnel ou burnout », ANACT – INRS – Délégation générale du travail

https://www.france-assos-sante.org/2019/12/04/cest-quoi-le-burn-out-parental/

« Le Burn Out », Philippe Zawieja, Editions PUF

« Après le burn-out et le bore-out, voici le brown-out », Nicolas Santolaria, article publié le 13 octobre 2016 sur lemonde.fr

Livre Blanc L’engagement collaborateur, lebilletdumanager.com et Le Lab’AATF, 2020

Pascal Chabot, Global burn-out, Editions Quadrige

Podcast France Culture, « Concordance des temps, Surmenage, stress et burn out… »

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