Wingardium leviosa : levons le voile sur la dynamique de groupe !

Harry Potter à l’école des sorciers est un film sorti en 2001 et réalisé par l’Américain Chris Columbus. Il est le premier d’une série de films bien connus des enfants et de leurs parents, adaptés des tout aussi populaires romans de J. K. Rowling, auteure prolifique (et désormais au cœur d’une polémique à la suite de ses prises de positions sur les personnes transgenres).  

Pour celles et ceux qui n’auraient vraiment aucune idée de ce dont il s’agit… c’est l’histoire d’un orphelin, Harry Potter, qui apprend lors de son 11e anniversaire que ses parents étaient en fait de puissants sorciers et que lui-même a des pouvoirs magiques. Et c’est ainsi que le petit Potter trouve son chemin vers Hogwarts (Poudlard en français), une école de sorciers, où il vivra des aventures le conduisant à découvrir la vérité sur la mort de ses parents.

Rapidement résumé comme cela, l’on pourrait croire que Harry Potter est une histoire quelque peu enfantine. C’est en partie vrai. Mais pas seulement : le linguiste Jean-Claude Milner évoque en effet l’idée d’un « récit potterien » qui est un roman d’éducation – sentimentale mais aussi politique, du passage de l’état de nature à l’état de droit. On y parle de règlements (d’ailleurs celui de l’école est très strict : pas de mixité dans les dortoirs, couvre-feu, interdiction d’aller dans certains lieux de l’école…), de loi (sachez qu’il existe un Code international du secret magique !) et d’éthique (on pensera par exemple aux questions de discriminations entre sorciers et simples « Moldus » – celles et ceux qui n’ont pas de pouvoirs magiques).

Mais Harry Potter, c’est aussi une histoire d’éducation managériale. Car les questions du groupe et de ses dynamiques y sont éminemment présentes.

Aux origines du conflit : le groupe ?

Il faut commencer par un petit retour en arrière et plonger dans l’histoire de Poudlard. A l’origine, les fondateurs de l’école prirent la décision que les élèves seraient répartis par « maisons ». Ils étaient 4 fondateurs et ainsi, il y eut 4 maisons : Gryffondor, Poufsouffle, Serdaigle et Serpentard.

Ainsi répartis, les élèves passent l’entièreté de leur scolarité au sein de leur maison, des dortoirs à la salle de classe en passant par le réfectoire. C’est aussi par maison qu’ils s’affrontent lors des matchs de Quidditch, un sport d’équipe qui est une sorte de polo où les balais volants ont remplacé les chevaux.

Dernière chose à savoir, la répartition des élèves par maison se fait dès leur arrivée à Poudlard, lors d’une cérémonie où leurs aptitudes et qualités personnelles – critères déterminants pour rejoindre telle ou telle maison – sont évaluées par… un chapeau.

Pour les chercheurs en psychologie Melissa J. Beers de la Ohio State University, et Kevin J. Apple de la James Madison University, rejoindre la maison Gryffondor et son équipe de Quidditch sont pour Harry les deux événements les plus importants de sa vie. Et ce n’est pas seulement parce que cela lui fait une ligne de plus sur son CV ni parce qu’il y trouve des amis. L’appartenance à ces groupes a changé la façon dont Harry se définit lui-même. Mieux : elle est source de confiance en soi.

Mais – parce qu’il y a un « mais » – à Poudlard, les maisons sont de grandes rivales. Cette idée d’avoir formé des groupes et de les faire s’affronter (de la façon la plus violente qui soit d’ailleurs, pour qui a déjà assisté à un match de Quidditch) forge le terreau d’une « parfaite tempête », nous disent ces chercheurs. La structure et le mode de fonctionnement de l’école, voulus par ses dirigeants, sont une source indéniable de tension entre les collectifs.

Les caractéristiques du groupe

A Poudlard comme dans l’entreprise, la vie sociale est composée de l’appartenance de l’individu à un ou plusieurs groupes. Car dans un groupe comme dans une société, l’individu y forge des valeurs. L’appartenance au groupe influence ses attitudes et ses comportements.

A l’origine de ce constat : le psychologue américain Kurt Lewin qui a ouvert, avec l’étude expérimentale de la dynamique des groupes, la voie aux sciences du management. Pour lui, le groupe se caractérise par un système d’interdépendance entre ses membres. L’étude de celui-ci, à un moment donné, explique ainsi le fonctionnement du groupe et sa conduite, à la fois en interne et vis-à-vis de l’extérieur. Le comportement d’un individu est donc à la fois fonction de ses caractéristiques propres mais aussi de celles de cet environnement social.

Notons que nous sommes alors dans les années 1940 ; si les travaux de Lewin sont si importants, c’est qu’à cette époque beaucoup de psychologues nient l’existence et la réalité des groupes !

Plusieurs propriétés traversent la réalité d’un groupe :

  • Sa cohésion,
  • Les normes qui sont une production collective du groupe et qui permettent d’expliquer comment s’opère le comportement de ses membres, notamment en matière de conformité,
  • Le pouvoir, qui a un lien avec l’idée de leadership ; il explique comment le comportement du groupe est influencé par celui du meneur.

Ce sont ces réalités que reflètent les actions et conduites des maisons de Poudlard. Ainsi, rappelons que Gryffondor, qui porte le lion comme emblème, porte haut les valeurs du courage, de la hardiesse, de la force, la bravoure et la détermination. Autant de valeurs qui guident le comportement de Harry Potter et de ses amis Ron et Hermione, mais aussi leur solidarité les uns envers les autres, leur sens de l’éthique et du devoir, dont Harry se fait l’étendard en tant que leader naturel.

A l’inverse, Serpentard, dont l’emblème est le serpent, valorise la grandeur, la ruse, l’ambition et la fierté. Maison bien moins sympathique, elle est celle qui a été la plus fréquentée par des mages noires – les vilains de l’histoire.

Les emblèmes des maisons de Poudlard

Le groupe : pour le pire et le meilleur ?

Des études épidémiologiques ont montré dès les années 1970, que l’isolement social et l’absence de soutien social ont un impact négatif sur la santé, qu’elle soit physique ou mentale. Progressivement, on a compris que ce soutien social pouvait venir des collègues et de la hiérarchie. En fait de soutien social, il s’agit d’éléments comme la solidarité au sein du groupe, la cohésion dans le collectif de travail ou encore, par exemple, le soutien de la hiérarchie.

Autrement dit, comme le documente très bien le rapport Gollac-Bodier de 2011, l’appartenance au groupe peut être considérée comme un levier de prévention contre les risques psychosociaux, que les auteurs de ce texte de référence définissent « comme les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». 

Clairement, le pauvre Harry aurait perdu la tête avec toutes ses mésaventures s’il n’avait pas pu compter sur le soutien de son groupe d’amis… Et de quelques-uns de ses professeurs !

Hermione, Ron et Harry, les amis inséparables

Toutefois, comme le rappelle le rapport, le fonctionnement des collectifs de travail peut aussi être un facteur de risque.

En effet, souvenons-nous de ce que disait Lewin : le groupe, c’est aussi la norme. Or, ces normes qui conditionnent le comportement des membres de l’équipe peuvent être la source d’importantes pressions difficiles à vivre. A défaut de se conformer, c’est la mise à l’écart… La peur d’être un outcast est à l’évidence un moteur de conformisme puissant. Elle fait écho au désir d’être accepté par les autres. Mais à quel prix ?

Ainsi, dans Harry Potter et le Prince de sang-mêlé, le jeune Drago Malfoy est sommé par sa mage noire de tante Bellatrix de tuer Dumbledore, le directeur de l’école. Le désir du jeune sorcier d’appartenir à ce groupe de super-vilains est ardent, certes. Mais mis devant un choix si difficile imposé par la pression de ses pairs, il est en proie à une terrible détresse qui le conduit à fuir la situation.   

Dynamique de groupe et management du changement

Revenons à Lewin : on trouve un prolongement de ses travaux à Poudlard mais aussi dans le monde des entreprises.

L’intérêt pour l’équipe de travail comme objet d’étude et comme enjeu managérial apparaît pour autant bien après les premiers travaux de Lewin, en l’occurrence dans les années 1970. C’est une période au cours de laquelle l’objectif de productivité des organisations est au cœur des enjeux managériaux. Les réflexions portent alors sur l’efficacité de l’équipe. Puis progressivement, avec la prise en compte de l’environnement des équipes de travail, ou encore de l’interdépendance entre ses membres, celle-ci est pleinement devenue un champ d’analyse pour les psychologues du travail. D’ailleurs, c’est en 1975 que le psychologue du management Harold J. Leavitt propose de considérer l’équipe comme l’unité de base de l’organisation. Comme Lewin en son temps, cette approche allait à contrecourant des approches du management.

Comme on l’a vu, l’une des caractéristiques principales du groupe est sa cohésion. Elle est décrite comme la résultante de forces qui maintiennent ensemble ses membres. Et c’est cette solidarité, nous dit-il, qui fait qu’on peut plus facilement changer le comportement d’un collectif que celui d’un individu.  

C’est donc un enseignement majeur pour les praticiens du management dans les organisations. Et Lewin de décrire les trois phases d’un changement :

  • The unfreeze (que l’on peut traduire par le dégel ou la décristallisation), étape au cours de laquelle le groupe renonce progressivement à ses routines, modes de pensées et comportements. Le manager, en tant qu’accompagnateur du changement, fait face à des résistances mais parvient à les limiter grâce aux échanges et à la discussion.
  • The change (changement, mouvement, déplacement), phase pendant laquelle de nouveaux comportements se forgent vraiment et les points de vue se reconfigurent.
  • The refreeze (recristallisation, stabilisation), étape finale qui correspond à un nouvel équilibre car les tensions sont apaisées. Mais ce n’est pas pour autant que le manager peut se reposer sur ses lauriers : des réajustements, précisions, adaptations restent nécessaires au fil de l’eau. De même, de nouvelles compétences sont attendues et il faut donc accompagner le groupe dans cette évolution.

La dynamique de groupe est donc un élément important à prendre en compte lorsqu’on est manager, on en conviendra. Et pour cela, pas de baguette magique, mais surtout de la pratique !

Harry Potter à l’école des sorciers, un film de Chris Colombus sorti en 2001

Pour en savoir plus :

Harry Potter – À l’école des sciences morales et politiques, Jean-Claude Milner, 2014

Beers, M. J., & Apple, K. J. (2006). Intergroup conflict in the world of Harry Potter. In N. Mulholland (Ed.), The psychology of Harry Potter (pp. 33–44). BenBella Books.

Volkoff, Serge. « « Montrer » la pénibilité : le parcours professionnel des éboueurs », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. no 163, no. 3, 2006, pp. 62-71.

LEWIN, Kurt, et al. Group decision and social change. Readings in social psychology, 1947, vol. 3, no 1, p. 197-211.

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