« Mange, prie, aime », de Ryan Murphy, est l’un de ces marronniers diffusés pendant les fêtes de fin d’année – en tout cas ici en Italie. Après une crise existentielle qui l’a amenée à plaquer mari, appartement, et nouveau petit copain, une écrivaine quarantenaire quitte New-York pour une quête spirituelle qui va la conduire en Italie, en Inde puis à Bali. Julia Roberts, qui interprète cette femme en quête de sens dans l’adaptation cinématographique du roman autobiographique d’Elizabeth Gilbert, commence son périple par Rome et Naples. A Rome, elle s’installe dans un petit appartement tenu par une grand-mère qui ne parle pas un mot d’anglais. Elle y fera connaissance d’une bande de copains adeptes de la farniente et des plaisirs de la bouche. Ils l’emmèneront à Naples où elle mangera sa première « vraie » pizza avec délectation, entourée d’une foule d’Italiens qui gesticulent.
« Mange, prie, aime » est sans conteste un feel good movie relativement efficace. Mais c’est aussi un film qui joue sur les clichés.

Pour autant, l’Italie est un pays avec un fonctionnement et une mentalité spécifiques et quiconque a des envies d’expatriation pourrait être bien avisé de s’en informer au préalable.
« Pour le reste du monde, l’Italie est une véritable énigme, parce que c’est l’unique pays dans lequel il est possible de générer de la valeur malgré une situation de chaos absolu. » Philip Kotler, Professeur de marketing à la Kellogg School of Management, Université Northwestern
Un management à l’italienne ?
« Les risques d’échecs et de déception sont grands pour les partenaires étrangers qui méconnaissent les spécificités culturelles de l’Italie », prévient sur son blog Carlo Alberto Pratesi, Professeur de Marketing et d’innovation de l’Université Roma Tre. C’est d’ailleurs pourquoi des cours de management interculturel se sont développés dans les écoles de commerce et les universités. Le Professeur Pratesi identifie ainsi 8 traits caractéristiques de la mentalité italienne : l’individualité, la flexibilité, la préférence pour la communication verbale, la prépondérance des réseaux, le respect de la hiérarchie, le goût des déplacements, l’innovation en termes de design et de technologie et, enfin, la gestualité.
Pourtant lorsqu’on demande aux Italiens s’ils s’y retrouvent – du moins m’y suis-je prêté avec mon entourage, cela ne va pas de soi.
Mais quid des Français travaillant en Italie ?
Du réseau et de l’émotion
Fort de ses 20 années passées en Italie, Nicolas Driers, Vice-président des Conseillers du Commerce extérieur de la France en Italie, confirme dans son interview au petitjournal.com l’importance des réseaux – professionnels comme familiaux. Le pays est moins centralisé, ce qui explique qu’on attend finalement moins de l’Etat qu’en France, malgré son protectionnisme. « C’est à chacun d’agir personnellement avec ses réseaux.» Il y a donc une plus grande implication personnelle et un plus grand recours à l’émotion dans les relations client/fournisseur ou manager/collaborateur.
Peut-être que cette émotion explique aussi pourquoi les Italiens travailleraient plus pour quelqu’un que pour une entreprise. Lorsque Sergio Marchionne, l’ex-patron de Fiat-Chrysler est décédé en juillet dernier, je me trouvais moi-même en Italie dans ma famille et j’ai en effet été témoin de l’émotion suscitée par son décès.
Ligne courbe contre ligne droite
« Il est parfois nécessaire de parler des stéréotypes pour les comprendre, les conscientiser en cas de situation de crise. », Annie Rea, formatrice
Annie Rea a été formatrice interculturelle lors de l’accident du tunnel du Mont-Blanc en mars 1999. Pour elle, à l’origine des différences de management entre la France et l’Italie, il y a les méthodes d’apprentissage qui marquent logiquement la structuration de la pensée dès le plus jeune âge. La Franco-italienne explique que l’Italie est le pays de la complexité, de la ligne courbe, tandis que la France est le pays de la rationalité cartésienne : c’est la ligne droite qui prédomine.
Et c’est pour cela que, selon elle, la différence majeure reste celle du rapport au temps avec des Italiens plus à l’aise dans l’urgence que les Français. Idem pour le rapport à l’incertitude, apparemment plus tolérable pour les Italiens que pour des Français plus adverses au risque.
Peu surprenant, donc que la compétence n°1 valorisée par les managers italiens soit l’excellence opérationnelle, autrement dit la capacité à être efficace malgré les environnements instables, à simplifier les process et à fluidifier l’organisation pour répondre rapidement aux changements et à la complexité. C’est le résultat de la récente étude conduite dans le secteur de l’industrie par The European House Ambrosetti e Federmanager. En deuxième et troisième positions : la faculté à prendre des décisions rapides et l’importance de l’initiative personnelle, suivie de la flexibilité.
Une communauté de communautés
Pour aller plus loin, comprendre les spécificités du management à l’italienne invite à comprendre ce qu’est la culture italienne. Or, il s’agit d’une relation d’autant plus subtile que la culture italienne est elle-même complexe. La société italienne se caractérise par une très grande diversité de traditions, de ressources, de langues et de dynamiques de socialisation.
En fait de nation, il s’agit plutôt d’une « communauté de communautés », explique Giovanni Masino, auteur d’une thèse en théorie de l’organisation de l’Université de Bologne, et actuellement Professeur associé à l’Université de Ferrara. En matière de culture d’organisation comme de management, le territoire joue un rôle essentiel. Cela s’illustre par le développement de véritables territoires industriels localisés et, ce, au-delà de la classique image d’un Nord industriel et riche face à un Sud plus agricole et en déprise.
Dans le contexte de mondialisation, ces différences sont à prendre en compte. Ainsi, lorsque le groupe Rinascente a fusionné avec Auchan à la fin des années 1990, deux cultures managériales se sont télescopées. L’alignement de l’enseigne italienne sur le mode de fonctionnement d’Auchan, centralisé et plus harmonisé, a d’abord échoué… jusqu’à ce que la pertinence du management plus décentralisé des magasins Rinascente soit prise en compte : les spécificités territoriales en matière de relations aux clients et fournisseurs italiens le justifiaient.
Quoiqu’il en soit de leurs différences et particularités, la France et l’Italie sont, l’une pour l’autre, le 2e partenaire commercial et le sommet franco-italien de Lyon de 2017 est venu renforcer la coopération économique et industrielle, ainsi que les projets transfrontaliers.
De quoi songer à passer plus que des vacances au pays de Dante…
POUR ALLER PLUS LOIN :
http://asl.univ-montp3.fr/e41slym/culture_gestion/ITALIE_version-anglaise_culture_et_management.pdf
