Tous les printemps, Covid ou pas Covid, je suis sociologiquement programmé pour parler d’amour. Et pourtant, l’histoire commence mal : dans « Je vais mieux », film français réalisé par Jean-Pierre Améris et adapté du roman éponyme de David Foenkinos, Laurent se fait quitter par sa femme dès le début du film. Ah, et quand on fait sa connaissance, Laurent est également en mauvaise posture au travail, sous la coupe d’un manager horriblissime. Si bien qu’il est au bord du licenciement. Pas étonnant, donc, qu’il en ait plein le dos. A proprement parler, puisqu’il en souffre physiquement : ses douleurs lombaires sont insoutenables.
Vaste sujet, le mal de dos… En témoignent les chiffres : la Sécurité sociale affirme que 2 salariés sur 3 ont eu, ont ou auront un jour des problèmes de dos. Car outre le port de charges, les mauvaises postures, les gestes inadaptés ou répétitifs, le stress est l’une des causes bien connues des lombalgies.
Au-delà des seules lombalgies, les problèmes de santé physique et psychologiques des salariés sont aujourd’hui responsable d’un absentéisme qui préoccupe à juste titre les pouvoirs publics et les employeurs. Dans le privé, le taux d’absentéisme est de 4,72% (sondage MNT/La Gazette des communes de novembre 2019). Il est quasiment le double dans le public (8,34%).
La fonction publique hospitalière est particulièrement touchée. Les raisons ? Une exposition à des contraintes physiques (produits dangereux, charge de travail élevée) et des contraintes psychosociales (tensions avec le public, confrontation à la souffrance des patients, horaires de nuit et décalés).
Ce constat est d’autant plus attristant que d’après ce même sondage, 84% des agents sont fiers de travailler pour l’intérêt général. Et on le sait : les Français sont attachés au service public. Ce ne sont pas les applaudissements vespéraux du moment qui le contrediront.
C’est la raison pour laquelle, avec le Lab’AATF, on s’est penché sur les contributions de l’innovation managériale en matière de santé, de qualité de vie et de bien-être au travail. Dans quelle mesure les innovations en la matière sont-elles des moteurs d’engagements ? Comment contribuent-elles à l’amélioration de la relation managériale ? Et comment permettent-elles de renforcer le sentiment d’appartenance à l’organisation ?
La Qualité de vie au travail : une innovation récente dans l’approche de la santé au travail
La prise en compte par les entreprises du coût humain lié à la recherche de la productivité a beaucoup évolué en 150 ans. Les interventions de l’Etat et du législateur y sont pour beaucoup.
Le 19e siècle et l’industrialisation ont été marqués par des conditions de travail particulièrement dures pour les ouvriers, à l’image – pardon pour l’anachronisme – d’un Charlot dans « Les Temps modernes ». Cette comédie dramatique américaine de Charlie Chaplin, raconte la vie d’un ouvrier d’usine. Employé sur une chaîne de production, Charlot est malmené, contraint à travailler à un rythme effréné. Finalement atteint d’une dépression nerveuse, il se retrouve à l’hôpital.

Heureusement depuis, l’innovation managériale a fait son œuvre, sous l’influence des sciences de gestion, des sciences sociales et de l’histoire des idées politiques modernes.
C’est d’abord par l’amélioration des conditions de vie des ouvriers que commence la prise en compte de la sécurité et de la santé des employés : philosophies philanthropiques d’un Godin et de ses familistères, paternalisme et cités ouvrières d’un Schneider ou d’un Michelin…
Avec le taylorisme et le fordisme du début du 20e siècle, l’augmentation de la productivité s’accompagne des premières résistances significatives des syndicats et ouvriers. L’arsenal juridique se développe et se renforce pour améliorer les conditions de travail, la sécurité et la santé des employés.
C’est à partir des années 50 qu’Eric Trist, du Tavistock Institute de Londres, met en lumière les limites du taylorisme (monotonie, déqualification, sentiment d’aliénation, impacts négatifs sur la productivité…). Ses travaux aboutissent au constat suivant : l’efficacité au travail est intimement liée à la qualité de vie au travail. Et ce lien dépend d’abord de l’organisation du travail et des méthodes de production.
A partir des années 70, les pratiques managériales commencent à prendre en compte l’intérêt des travaux sur la reconnaissance et la motivation (pyramide de Maslow par exemple). Les entreprises s’intéressent donc peu à peu à l’engagement des salariés, à leur personne, leur intelligence et leur créativité. Et il ne s’agit donc pas que de s’intéresser à l’engagement au sens de la présence physique ou de la quantité de travail fourni, mais bel et bien d’un engagement « moral » ou psychologique.
D’où par exemple les innovations managériales en matière de participation.
« Le principe d’engagement trouve avec la participation une issue logique : plus il est demandé aux salariés de s’engager, plus il est difficile de les tenir à l’écart des décisions qui les concernent directement […]. La participation aux décisions répond également à une aspiration profonde des salariés et de leurs représentants à intervenir de manière plus effective sur les conditions de travail. » Patricia Crifo et Antoine Rebérioux, tous deux Economistes, dans Entreprise & Carrière (novembre 2019).
C’est logiquement à cette époque que le terme « QVT » commence à être utilisé par le monde universitaire, avec une première approche qui agrège intégrité physique et psychique, développement du dialogue social et équilibre vie au travail et vie hors travail.
Une spécificité française ?
Comme le précise l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), l’approche de la santé au travail en France se caractérise par une dimension collective, plus que par le développement personnel. Ainsi, l’expression « amélioration des conditions de travail » a longtemps été privilégiée, avec une connotation plutôt « risques professionnels » et « prévention » et un cadre juridique relativement stable et ancien, notamment dans le secteur public.

Le contexte de la fin des années 2000 a changé la donne. Employeurs comme institutions ont cherché des solutions pour sortir de la crise des risques psycho-sociaux mis en exergue par des suicides dans des grandes entreprises.
Une approche nouvelle s’est donc développée, complémentaire des démarches d’amélioration des conditions de travail centrées sur la prise en compte du mal-être dans l’entreprise, ou qui suivaient la seule logique de compensation des dommages pour les salariés. Le rapport Lachmann, Larose, Pénicaud sur le « bien être et l’efficacité au travail » de 2010 appelle ainsi à renforcer la prévention en amont des risques et à mettre l’accent sur le développement de la santé et les conditions de l’engagement des salariés.
Autrement dit, on commence à réfléchir au « bien-être » des employés, et plus seulement aux façon de résoudre leur « mal-être ».
La QVT : une contribution à la recherche du sens au travail
Une définition made in France de la QVT est proposée pour la première fois par l’accord national interprofessionnel de juin 2013.
Selon les termes de l’accord, « les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci déterminent la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte ».
Autrement dit : finalité du travail de l’organisation, impact direct du salarié sur cette finalité, capacité à influencer le fonctionnement interne de l’organisation, équilibre entre investissement professionnel et autres priorités, perspectives de développement de ses compétences… la quête de sens est au cœur de l’engagement et de la QVT.
En somme, la QVT nous invite à trouver notre Ikigai.
« Notre quoi », vous demandez-vous peut-être?
Eh bien ce terme japonais est issu du mot iki (« vie » ou « être en vie ») et gai (« ce qui vaut la peine et a de la valeur »). Il s’agit donc en quelques sortes de « ce pour quoi la vie mérite d’être vécue ».
Certes, pour qui a lu ou vu « Stupeur et tremblements », il peut paraître audacieux d’invoquer le Japon dans un article sur la QVT. Dans ce roman d’Amélie Nothomb, adapté au cinéma par le réalisateur Alain Corneau, le personnage principal est une jeune femme belge qui intègre une grande société japonaise. Malheureusement pour elle, l’entreprise se caractérise par un mode de fonctionnement très hiérarchique, cloisonné, cruel et humiliant.
Il n’empêche, l’Ikigai est un outil qui peut être fort utile lorsqu’un manager ou un employeur s’intéresse aux moteurs d’engagement de ses collaborateurs :
Mais revenons en France.
Un changement de paradigme : réconcilier santé et travail
Le troisième Plan Santé au Travail (PST3) de 2016-2020 poursuit l’inflexion hexagonale dans l’approche de la santé au travail.
En effet, il fait la part belle à la QVT puisque sa philosophie repose sur un renversement de perspective de la santé au travail :
- La santé est un déterminant de la QVT : niveau de santé et niveau des conditions de travail contribuent à la performance de l’individu et à son épanouissement au travail,
- L’activité professionnelle peut exposer à des risques à la santé et celle-ci doit donc être préservée. Le travail, quand il permet de s’épanouir, en harmonie avec les autres sphères de vie, contribue à une bonne santé. Le travail est donc un déterminant de la santé.
Ainsi, la santé n’est plus uniquement abordée sous le prisme de la pathologie et de la réparation. Il s’agit de renouer santé et performance de l’entreprise, ce qui s’incarne dans la démarche de QVT. Et en parallèle, les enjeux de santé psychique sont mieux pris en compte. C’est par exemple le cas dans le contexte d’un harcèlement moral, dans la mesure où le médecin du travail identifie parfois des symptômes de type choc post traumatique. Et plus largement, les conséquences physiques issues des souffrances morales au travail sont mieux identifiées.
En fait, cette vision de santé au travail invite à sortir du mode « urgence » pour agir sur la « prévention primaire ». L’employeur doit déployer toute une série d’actes « destinés à diminuer l’incidence d’une maladie ou d’un problème de santé, donc à réduire l’apparition des nouveaux cas dans une population saine par la diminution des causes et des facteurs de risque » (définition de la prévention primaire par l’OMS).
En conclusion, on est sur une approche complémentaire de la prévention, de la qualité de vie et du bien-être au travail.
« Il est essentiel de rappeler la notion de santé telle que définie par l’OMS en 1946 : « un état de bien-être complet physique, mental et social… ». Pour contribuer à la santé, toutes les actions sont utiles. En revanche, il existe une nécessaire coordination de l’ensemble de ces dernières dans les piliers de la SQVT, avec une politique générale de prise en compte de la personne dans son contexte de travail. » Laurence Breton-Kueny, Vice- présidence de l’ANDRH en charge des questions de santé, Personnel de septembre 2019
Il y a donc une vraie responsabilité de l’employeur à assumer l’impact des conditions de travail sur le bien-être collectif des collaborateurs et à en tirer les conséquences en matière de politique RH. D’autant plus qu’il y a des avantages substantiels à s’y intéresser de prêt…
La QVT : un atout stratégique pour les employeurs
Accompagner l’évolution de notre relation au travail
La QVT contribue à la réflexion autour de la prospective métier, qui est elle-même au cœur de l’innovation managériale. Car en s’attaquant de façon systématique au vécu des collaborateurs, la QVT interroge notre relation au travail.
Tout au long de l’histoire des sociétés capitalistes industrielles, celui-ci a été au cœur de de la définition de la « nature humaine », pour reprendre les termes du sociologue François Dubet.
Comme il l’explique dans « Les Mutations du travail », le dernier ouvrage qu’il a dirigé, le labeur de chacun fonde la division des tâches et la solidarité, mais il fonde aussi la division de la société en classes sociales opposant ceux qui apportent leur labeur à ceux qui le maîtrisent et l’organisent.
Le travail, dans son acception individuelle comme collective, est donc indéniablement un objet anthropologique.
« On n’attend pas seulement du travail qu’il apporte des revenus et qu’il s’insère dans des liens sociaux ; on attend de lui qu’il permette à chacun de se réaliser, de s’épanouir, de ne pas perdre sa vie à la gagner. »Les mutations du travail, François Dubet
Rien d’étonnant, donc, à ce que les enquêtes internationales portant sur les valeurs associées au travail montrent que les individus accordent à la réalisation de soi dans l’entreprise autant d’importance qu’au salaire et aux relations entre collègues et avec le n+1.
Enrichir sa stratégie de RSE
La QVT, puisqu’elle interroge l’organisation et les pratiques managériales, fait partie de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Celle-ci englobe le champ social, environnemental et citoyen de l’entreprise ou de la collectivité publique.
D’ailleurs, le Baromètre de l’entreprise responsable de 2015 montre clairement que les conditions de travail sont citées comme LE sujet RSE à développer prioritairement (42 % des salariés interrogés), loin devant les questions liées à l’environnement (13 %), au développement local ou aux consommateurs.
Plus récemment, le Baromètre RSE 2020 de EH-Ekodev-Occurrence met en lumière le « réservoir de mobilisation » que constitue la RSE : pour 70% des répondants, elle permettrait de contribuer à de grands enjeux et à donner du sens à son activité, tout en développant ses compétences.
Il y a donc un réel intérêt et une congruence stratégique à capitaliser sur la politique de l’entreprise en matière de QVT pour servir en même temps une logique de RSE. Désormais, il est clair que la responsabilité sociétale des organisations ne se construit plus exclusivement sur des engagements environnementaux ou écologiques, mais aussi sur les conditions de travail au sens large, l’égalité femmes hommes, l’inclusion de la diversité, etc.
Le coin des bonnes pratiques :
Des entreprises proposent du mécénat de compétences. C’est par exemple le cas de la start up Vendredi qui structure un don de temps d’employés auprès d’associations. Pour l’entreprise, c’est une manière de s’engager et de renforcer le sentiment d’appartenance de ses employés pour une organisation qui « prend ses responsabilités » vis-à-vis de la société.
Des entreprises (y compris des collectivités publiques) s’engagent via la participation à des événements comme la Journée de la femme, Octobre Rose, etc.
Enfin, n’oublions pas le budget alloué à l’amicale du personnel ou autre comité social : il permet de valoriser l’engagement de l’employeur pour le financement d’activités importantes pour les employés.
Renforcer sa marque employeur
Bien entendu, même une entreprise qui figure au tableau d’honneur d’un palmarès du type Great Place to work n’est pas au pays des « bisounours ». Toute organisation génère de la frustration et des conflits… Après tout, c’est aussi cela qui fait le miel des relations humaines.

Pour autant, en positionnant ces enjeux sociétaux et de QVT à un niveau stratégique, une organisation contribue à renforcer sa marque employeur et les impacts vertueux qui vont avec.
Le très instructif Livre Blanc « Marque employeur & Service public » de la start up Profil public définit la marque employeur comme la « proposition de valeur RH » ou la « promesse RH » de l’organisation. Et de souligner les avantages d’une bonne marque employeur :
- Une meilleure attractivité,
- Une qualité des candidatures accrue,
- Une réduction du coût des recrutements,
- Le développement de l’engagement, de la fidélisation des collaborateurs et du sentiment d’appartenance.
C’est d’autant plus important que le digital est un accélérateur de réputation – dans le bon sens comme dans le mauvais. On pense par exemple au site de recherche d’emplois Glassdoor. Celui-ci rend public les avis des salariés sur plus de 600 000 entreprises dans le monde…
Quoiqu’il en soit, l’enjeu d’une marque employeur de qualité est tout aussi important dans le secteur public que dans le secteur privé.
« Il est encore plus important pour le service public de développer sa marque employeur car c’est un secteur qui a un fort enjeu d’image, d’innovation, de transformation et qui est confronté à des difficultés grandissantes de recrutement », Livre Blanc « Marque employeur & Service public », Profil public
Mais attention, nous dit Profil public : pour que la marque employeur fonctionne, il faut s’ancrer sur le réel des agents, notamment sur leur vécu de la politique de QVT.
Et fort heureusement, les collectivités en tiennent de plus en plus compte dans leurs pratiques internes, à travers « l’expérience collaborateur ». Cette notion renvoie aux moments clés vécus par l’agent depuis son recrutement jusqu’à son départ. De nombreux outils existent, comme les baromètres digitaux qui permettent aux agents de répondre à des questionnaires d’humeur, de façon anonyme. Mais cela peut aussi passer par des ateliers participatifs, des focus groups, etc.
Par ailleurs, le travail peut porter sur tout ou partie du parcours du collaborateur.
Le coin des bonnes pratiques :
Le Secrétariat général pour les affaires régionales d’Ile de France a par exemple travaillé avec le laboratoire d’innovation de la préfecture d’Ile de France, la Fabrique RH, pour améliorer le recrutement,
La ville et métropole de Dijon a ciblé le parcours de carrière de l’agent sous le prisme de l’introduction du digital dans les pratiques quotidiennes,
A la faveur de son projet d’administration, dont l’un des objectifs phares est la QVT, l’Eurométropole de Strasbourg s’est penchée, elle, sur les modes de travail collectif et les modes de management.
Le manager : un acteur essentiel de la QVT ?
L’employeur, à travers la DG et les DRH, est aux premières lignes de la définition et de la mise en œuvre de la politique de QVT. Mais pour faire vivre cette QVT et renforcer au quotidien l’engagement des collaborateurs, les managers sont un rouage essentiel.
Certes, beaucoup de choses dépendent des règles RH de l’organisation. Mais beaucoup dépendent aussi de la façon dont le manager va les appliquer. Car même dans les organisations les plus bureaucratiques, il existe une marge d’interprétation de la règle – une marge de manœuvre ou une sphère d’autonomie, peu importe la façon dont on veut qualifier cette part de responsabilité. D’ailleurs, chacun peut faire le test : on connaît tous une entreprise, une collectivité, une organisation soumise chacune à un même cadre, mais où les équipes n’ont pas forcément le même mode de management d’un encadrant à un autre. Et parfois, avec des différences en terme de bien-être qu’on peut difficilement détacher de la qualité managériale desdits encadrants…
N’oublions pas, donc que de nombreux leviers d’engagement et de bien-être au travail relèvent de la manière dont, en tant que collaborateur, on est traité au quotidien : la manière dont on se parle, les petites maladresses ou vexations dans la communication, l’organisation au jour le jour, etc.
Le coin des bonnes pratiques :
Faire le constat/écouter : un entretien individuel entre le manager et son collaborateur peut être l’occasion de faire le point sur ses besoins, son rapport au travail, etc. – à condition qu’il soit préparé à l’avance. D’ailleurs, l’entretien professionnel, peut être une bonne entrée en la matière.
Echanger sur les différences de besoin au travail : la méthode de l’atelier collectif s’y prête généralement plutôt bien avec, si besoin, l’accompagnement par un tiers ou un consultant externe.
Réfléchir à sa QVT et son engagement en tant que manager : « moi, dans ma relation avec mes n-1, j’ai besoin de ceci, de cela pour me sentir bien » et savoir en parler ouvertement.
Se faire accompagner (en interne ou par un tiers externe à l’organisation) : de nombreux outils existent pour améliorer ses compétences managériales et renforcer l’engagement des collaborateurs : communication non violente, coaching collectif orienté vers la compréhension et le respect des besoins de chacun, etc.
Une évaluation complexe
Soyons francs : évaluer l’efficacité de la QVT est une tâche complexe.
Ces évaluations font partie des missions de structures comme l’ANACT et ses réseaux régionaux, en complément de l’accompagnement d’entreprises qui souhaitent mettre en place des mesures de QVT. Or, le volet évaluation se heurte parfois aux réticences des entreprises. C’est en particulier vrai sur le tissu des PME qui semblent parfois frileuses à partager leurs retours d’expérience, ou plus simplement à prendre le temps de faire un retour d’expérience. Du côté de l’ANACT et des ARACT, on pointe aussi un manque de ressources pour ce suivi.
Néanmoins, l’ANACT a pu se prêter à l’exercice d’un bilan global au niveau national, synthétisé en juin 2019 (publication ANACT « Travail & Changement »). Celui-ci montre que la mise en place de la QVT dans les entreprises a bien favorisé la prise en compte des difficultés et des attentes individuelles et sociales : égalité professionnelle, développement du télétravail, articulation des temps, prise en compte du handicap, etc. Des actions innovantes ont été conduites par des entreprises et des collectifs de PME, en particulier dans certains territoires ou dans certaines filières (transports, agroalimentaire, sanitaire, médico-social). Cette dynamique a ainsi permis de progresser sur les questions d’attractivité des métiers, de prévention et de performance.
En revanche, certains sujets ne semblent pas avoir progressé comme la charge de travail, l’évolution des métiers ou le sens au travail, qui restent des points de friction dans l’entreprise.
Pour poursuivre le cheminement de la QVT dans les PME en particulier, l’ANACT recommande donc de centrer celui-ci sur le contenu du travail. Autrement dit, il s’agit d’articuler les démarches de QVT avec les projets de transformation et d’amélioration de la performance. Mais il s’agit aussi de mobiliser ce faisant l’ensemble des acteurs qui ont un impact sur le fonctionnement du quotidien et des conditions de travail des salariés : les RH, bien sûr, mais aussi les achats, les finances, les Directions des services informatiques, etc.
Par ailleurs, très concrètement, l’évaluation de l’efficacité d’une politique de QVT pose la question des critères et indicateurs utilisés. Les retours d’expériences montrent qu’il est important de bien définir ces indicateurs car le diagnostic initial diffère forcément d’une organisation à une autre.

Si l’enjeu initial est celui d’un faible engagement des collaborateurs, on préfèrera par exemple un indicateur comme l’absentéisme. Pour ce faire, il peut être utile de se pencher sur les outils de mesures existants sur le marché : Bloom at work, Zest, etc.
Et demain ?
Dans le secteur public, le bilan reste préoccupant, comme on l’évoquait au début de ce billet à l’aide de ce même indicateur. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre a commandé un rapport sur le sujet, qui a conduit les auteurs à formuler une série de propositions.
Livré en octobre 2019, le rapport Lecocq-Coton-Verdier pose les termes du débat dans son titre même : « Santé, sécurité, qualité de vie au travail dans la fonction publique : un devoir, une urgence, une chance ». Il s’agit du pendant d’une mission précédente qui portait sur le champ du secteur privé.
Pour aller droit au but, ses auteurs ont identifié plusieurs façons d’impulser une culture de la prévention des risques professionnels dans les trois versants de la fonction publique, notamment :
- La formation de la ligne managériale, élus compris, à la conduite du changement et à la prévention des risques psycho-sociaux,
- Le renforcement de l’investissement en matière de santé et de QVT,
- La mise en place d’un plan de lutte contre les violences envers les agents du service public.
L’objectif de l’Etat est de s’appuyer sur ces éléments pour établir un Plan santé au travail spécifique à la fonction publique, et corrélé à celui qui existe déjà dans le privé. A priori, il est prévu pour 2020-2024.
La DGAFP a accueilli le 7 février dernier une première réunion de concertation avec les représentants des employeurs territoriaux (AMF, AdF, France Urbaine…) et les organisations syndicales. Le cycle des rencontres est donc ouvert et, si le calendrier devra sans doute être revu pour cause de Covid-19, il s’agira de poser les bases d’un système de santé au travail plus orienté sur la prévention.
Initialement, la conclusion des travaux était prévue avant l’été 2020, et la livraison du plan pour l’automne.
D’ici-là, il faudra patienter et les enseignements du confinement viendront sans doute nourrir les débats. L’innovation managériale a donc toute sa place pour y contribuer, pour valoriser les bonnes pratiques identifiées ci et là, et pour donner à voir d’autres façons de faire – au bénéfice de l’organisation, des managers et, in fine, des agents.
Cet article vous a été proposé par le Billet du manager, en partenariat avec le Lab’AATF


POUR ALLER PLUS LOIN :
- Les Mutations du travail, sous la direction de François Dubet, Editions La Découverte, novembre 2019
- Livre blanc « Marque employeur & Service public », Profil public
- « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée », rapport établi par Charlotte LECOCQ, Députée du Nord, Bruno DUPUIS, Consultant senior en management et Henri FOREST, Ancien secrétaire confédéral CFDT
- « Santé, sécurité, qualité de vie au travail dans la fonction publique : un devoir, une urgence, une chance », rapport établi par Charlotte LECOCQ, Députée du Nord, Pascale COTON, Vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental et de la CFTC, Jean-François VERDIER, Inspecteur général des finances et ancien directeur général de la DGAFP
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