Confinement vôtre : Manager depuis chez soi ?

NB : A l’heure où ce billet est écrit, la situation est préoccupante et, pour beaucoup, anxiogène. Les billets managériaux se veulent instructifs, propices à la réflexion, mais avant tout divertissants et humoristiques. Le second degré est donc de mise à la lecture, comme il l’est à l’écriture.😊 Il se peut que cela ne corresponde pas à votre besoin: n’hésitez pas à parcourir Internet et les réseaux sociaux où fleurissent de nombreux et très utiles articles « boîtes à outils », de conseil ou de coaching. Il y en aura donc pour tous les goûts.

Le confinement est propice au binge watching. Justement, « Kingdom » est parfaitement adapté à cette activité. Cette série télévisée américano-sud-coréenne réalisée en 2019 par Kim Seong-hoon pour Netflix se compose de 2 saisons de 6 épisodes chacune. En un week-end, c’est fait. Et l’on peut même faire sa séance de cardio devant la télé sans avoir à fournir d’attestation.

« Kingdom », une série Netflix de Kim Seong-hoon

Je vous entends d’ici : « est-il bien inspiré de regarder en ce moment une série sur un virus mortel qui menace de transformer toute une population en zombies? » Eh bien d’abord, le scénario de « Kingdom » va bien plus loin en intégrant l’épidémie dans une intrigue politique haletante. Ensuite, la série se situe dans la Corée du 16e siècle, ce qui confère au récit une dimension épique des plus trépidantes. Enfin, elle mêle habilement horreur et humour, ce qui est à titre personnel un parfait combo pour exorciser mon angoisse actuelle.

En particulier, c’est le ridicule et le pathétique de certains fonctionnaires rencontrés par le héros qui fait rire. Caricaturaux à souhait, ils brillent par leur couardise, leur idiotie crasse et une gestuelle théâtrale pétrie de maladresse. Et une grave incompétence face à la crise qui éclate dans le pays.

« Kingdom », une série Netflix de Kim Seong-hoon

A mille lieux, donc, de la façon dont les collectivités publiques, les hôpitaux et l’ensemble des acteurs du service public ont su réagir et s’adapter en un temps record la semaine dernière. Et passée l’urgence des derniers jours, c’est donc à une petite prise de recul que le Billet du manager et le Lab’AATF vous invitent aujourd’hui.


Un principe : la continuité du service public

Comme le précise sur son blog Philippe Silberzahn, qui enseigne les subtilités de la gestion de l’incertitude à l’EMLyon Business School, la crise du Coronavirus aura eu comme particularité pour les dirigeants d’entreprises de les placer pendant plusieurs jours dans une difficile injonction : d’un côté, assurer la sécurité de leurs employés, de l’autre maintenir l’activité. L’Etat est venu clarifier les choses en actant des mesures drastiques de confinement et de télétravail élargi.

Mais dans les collectivités territoriales, la question du maintien ou pas des activités ne s’est pas posée. De fait, chacun pourra constater que de nombreux services continuent à être assurés. En effet, la continuité du service public, qui est un principe de valeur constitutionnelle en France, repose sur la nécessité de répondre aux besoins d’intérêt général sans interruption.

C’est donc ce principe qui a présidé la façon dont les collectivités ont géré la crise de ces derniers jours. Mais si elles ont fait preuve d’une réactivité remarquable, cela n’a pas été sans difficultés.

Dans les coulisses de la gestion de crise

En coulisses, c’est tout une organisation qui a été chamboulée quasiment du jour au lendemain. A l’image de la fameuse « situation room » de la série « A la Maison-Blanche », qui met en scène le travail quotidien d’un Président fictif des Etats-Unis, des cellules de crise se sont constituées au plus haut niveau pour adopter des plans de continuité des activités.

« Notre organisation a pu être déployée avec un certain ordre dès lundi matin. Nous nous sommes réunis en direction générale élargie avec les directions générales adjointes et quelques directions ressources. Nous étions huit réunis dans une grande salle du centre administratif, à deux mètres les uns des autres afin de respecter les règles de distanciation sociale. Notre premier objectif a été de mettre en place le plan de continuité d’activité. »  Pierre Laplane, Directeur général des services de la ville et de l’Eurométropole, dans la Gazette des communes du 20 mars dernier.

 « The West Wing » (À la Maison-Blanche), une série américaine  en 155 épisodes, créée par Aaron Sorkin en 1999.

Les plans de continuité

C’est à la suite de grandes crises sanitaires, d’accidents technologiques, de conflits ou encore d’attentats que la pratique des « plans de continuité d’activité » ou « de services » s’est développée. Que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé, ces plans de continuité ne sont rien d’autre que des documents qui posent la façon dont l’organisation peut continuer à fonctionner en cas circonstances exceptionnelles. En théorie, l’impact de la crise est donc maîtrisé même si, le plus souvent, il s’agira de poursuivre les activités en « mode dégradé ».

Quelle que soit la forme du plan, il faut tout prévoir : le maintien du système d’information de l’organisation, la protection des employés face au risque sanitaire, la structuration du pilotage de l’organisation pendant la durée de la crise (astreintes, cellules de crise, etc.). Le plan prévoit aussi les activités dont la continuité est prioritaire, celles qui peuvent être reportées, ou encore l’organisation des fonctions transverses comme la RH, les finances, la logistique, etc.

En pratique, rien qu’à ce stade les difficultés sont nombreuses :

  • Dans les collectivités, la situation peut obliger à procéder à des arbitrages douloureux entre les politiques publiques à prioriser, par exemple,
  • La maturité des différents services sur la pratique des plans de continuité est rarement homogène – c’est souvent la DSI qui sera plutôt rompue à l’exercice,
  • La continuité du service se heurte à la réalité du quotidien des agents confinés, avec des configurations familiales diverses, des états de santé variés, etc. La réalisation des plans de continuité, qui identifient « qui fait quoi » pendant la période de crise, relève quasiment du cas par cas, pour s’adapter à chaque situation…
  • Le décalage entre le plan tel qu’il a été anticipé et les aléas du quotidien : dans certains Départements, on constate par exemple que les besoins exposent en raison du confinement, avec le ralentissement des canaux de remontée de l’information.
  • Et on n’oubliera pas non plus la charge supplémentaire qu’a constituée pour les Communes la perspective d’une installation de nouvelles équipes municipales, en pleine gestion de crise.

La communication de crise

La communication de crise, c’est un incontournable. Car lorsque l’on fait face à des situations exceptionnelles, c’est toute une communication spécifique qui se met en place – tant sur le fond que sur la forme.



:« Scandal », série créée par la génialissime Shonda Rhimes. Olivia Pope dirige un cabinet spécialisé en communication de crise. Mêlant intrigues politico-judicaires et romances (le personnage couche avec le Président des Etats-Unis…), la série montre comment des personnalités qui se sont mises dans des situations inextricables sont sorties d’affaire grâce aux méthodes originales d’Olivia Pope et de son équipe de communicants

Jérôme Batout, Directeur associé chez Publicis, l’explique comme une nécessité absolue dans une société où l’Internet et les chaînes de médias continues changent la donne.

« L’entreprise doit diffuser en continu des informations fiables. […] Si elle manque à cette obligation, sa parole sera assimilée à un simple bruit. Personne n’écoutera… et d’autres construiront le récit à sa place ». Jérôme Batout dans un article de Capital du 11 mars 2016

Cela vaut également pour la communication interne : les employés doivent être rassurés et orientés. Surtout dans la mesure où la crise sanitaire actuelle contraint beaucoup d’entre eux à télétravailler, voire à être privés de tout outil de travail. D’ailleurs, en pratique la communication d’urgence pose déjà un certain nombre de difficultés dans les organisations où une majorité d’employés n’ont pas de mails professionnels et/ou pas d’accès à un ordinateur individuel.

Dans ce contexte, il peut toutefois être utile de recourir à l’utilité des réseaux sociaux. C’est ce qu’explique Noémie Buffault, co-fondatrice de la toute nouvelle agence digitale LEKSI et auteure de l’ouvrage de référence « Utiliser les réseaux sociaux dans la Fonction publique » (éditions Gualino).

Si la plupart des grosses collectivités sont dotées de comptes Facebook, Twitter et Instagram, certaines disposent également de réseaux sociaux d’entreprises comme Yammer. Actionner ce vecteur de communication est doublement pertinent :

  • Adapter la communication interne de crise aux usages actuels : « en cas de crise, les internautes ont désormais le réflexe de se tourner vers les réseaux sociaux pour y trouver de l’information fiable, mise à jour en temps réel, pour se rassurer ou pour partager des conseils », précise Noémie Buffault ,
  • Permettre aux agents de conserver un lien avec l’organisation et entre collègues, ce qui est particulièrement adapté aux circonstances actuelles.

En matière de bonnes pratiques, les collectivités peuvent également compter sur un certain nombre d’acteurs, à l’image de Profil Public qui a récemment publié un très riche livre blanc « Marque employeur & service public ».

La communication managériale ?

Justement, ce qui est vrai habituellement et qui va le devenir encore plus dans les jours prochains, c’est que le manager est l’une des principales courroies de transmission pour les collaborateurs.

Pourtant, la communication managériale est encore peu exploitée. A l’occasion de ses 30 ans d’existence, l’Association française de communication interne (AFCI) avait réalisé une grande enquête sur son métier. Il en ressortait que 63% des communicants interrogés jugeaient important de mettre les managers au cœur de la communication interne. Logique : ce sont eux qui doivent permettre à chacun des membres de leur équipe de comprendre ce qu’implique la transformation et ce qu’elle va changer dans leur travail au quotidien.

Or, l’AFCI dresse également le constat d’une difficulté des managers à s’approprier les messages et à les relayer. Et cela, malgré le déploiement d’outils de plus en plus collaboratifs.

Pour les experts de la communication, il va donc s’agir de rapidement rentrer dans un réel partenariat avec les managers. Par exemple, en se rapprochant d’eux pour mieux comprendre leur vécu et leurs attentes, en particulier dans les circonstances actuelles.

La tâche ne sera sans doute pas facile et l’efficacité immédiate : la communication managériale passe en effet par plusieurs étapes que décrit Philippe Détrie, fondateur de la Maison du management :

  • Informer pour faire savoir
  • Expliquer pour faire comprendre
  • Impliquer pour faire s’engager
  • Animer pour agir.

« Chaque palier doit être atteint avant de passer au suivant. C’est souvent ce que les DG ne comprennent pas : alors qu’ils ont eux-mêmes pris la décision en suivant cette démarche, ils voudraient que chacun la mette en œuvre immédiatement. Chacun a besoin d’un cheminement intellectuel et psychologique, la communication est un précieux accompagnement. » Philippe Détrie, Entreprise & Carrières, 2019

Quelques retours d’expériences :

- Donner clairement les consignes mais ne pas seulement « passer les plats »/relayer sans plus-valu les informations « venues du haut » : il faut adapter les consignes aux réalités de cette équipe-ci, la vôtre, et ne pas lui laisser de doute sur le fait que leur manager sera à leurs côtés
- Donner le cadre et les limites : par exemple distinguer l’aménagement du temps de travail de la question du droit de retrait, parfois invoquée à tort ou par méconnaissance
- Assumer la dimension affective du moment : difficile de nier les bouleversements émotionnels, familiaux des uns et des autres ; se montrer compréhensif, chercher les solutions de compromis entre les contraintes de chacun et les besoins du collectif
- Assumer aussi une frontière vie professionnelle/personnelle plus floue mais de manière temporaire : comprendre que le collègue réputé en télétravail mais avec enfants dans le même lieu s’organisera autrement,
- Être disponible et à l’écoute, même des peurs irrationnelles, même des incompréhensions les plus farfelues, même des situations individuelles qui relèvent du cas d’école

L’irruption du télétravail

Le télétravail concerne désormais plus de 4 emplois sur 10, soit près de 8 millions d’actifs.

C’est loin d’être une petite révolution, tant cela vient chambouler les habitudes de nombreuses organisations. D’autant plus si l’on considère que le développement du télétravail s’est longtemps heurté à de nombreux blocages, en particulier dans le secteur public. Déjà en 2009, le Centre d’analyse stratégique identifiait ces points de blocage comme des « facteurs culturels spécifiques à la France et la conception collective du travail ».

Le télétravail modifie profondément la culture du contrôle, encore particulièrement ancrée dans le monde des collectivités territoriales notamment.

La crise a donc précipité une transition attendue depuis au moins une trentaine d’années, apportant avec elle un certain nombre de questions.

  • D’abord, celle du hardware.

Autrement dit : est-ce que les salariés sont équipés du matériel adéquat tel qu’un PC portable ?

« Certains n’ont pas forcément de PC, portable ou non, ou doivent utiliser le même que leur conjoint ou que leur enfant, qui suit l’école à la maison. Il faut donc penser à cette contrainte, et ne pas hésiter à faire livrer à certains collaborateurs, le matériel nécessaire ; des laptops aux tables et chaises de bureau… », Élie Sic-Sic, fondateur de Tell Me The Truffe, agence conseil en communication, dans un article du Courrier des cadres du 18 mars 2020

  • Ensuite, celle des nouveaux modes de collaboration.

En éclatant les équipes, les pratiques managériales doivent s’adapter. D’abord parce que l’éloignement des équipes oblige à confier plus d’autonomie aux agents. C’est du reste déjà une réalité pour les travailleurs mobiles dans les Départements par exemple : travailleurs sociaux, agents d’entretien des routes, etc.

Ensuite parce que l’éloignement implique de raisonner par objectifs. Comme le précisait le consultant Pascal Rassat à la Lettre du cadre en février 2019, « pour quantifier et assurer un suivi efficace du télétravail […], il est important de spécifier des objectifs périodiques, définis sur une échelle courte (par semaine ou par mois), et suivis avec des outils partagés par les membres de l’équipe distante ».

  • Enfin, la question des outils numériques.

Depuis le confinement généralisé, les offres de gratuité des plateformes vidéo se multiplient. Même l’industrie pornographique s’y est mise !

Mais plus sérieusement, les organisations contraintes au télétravail généralisé découvrent depuis une semaine un nombre impressionnant d’outils digitaux de communication et de collaboration à distance. C’est par exemple la solution proposée par la société Klaxoon. La société rennaise permet d’organiser en temps réel et à distance des réunions participatives : brainstormings, votes, sondages, etc.

Dans le secteur public, certaines DSI avaient déjà mis en place de tels outils avant la crise. Celles qui ont opté pour Office 365, par exemple, peuvent ainsi offrir aux agents la possibilité d’organiser leurs réunions en visioconférence, via TEAMS.

Enfin, les réseaux de l’innovation publique et de l’innovation managériale se sont également mobilisés pour recenser, identifier et proposer des solutions numériques. A peine 3 jours après le début du confinement, le Hub des communautés de la transformation publique a diffusé un sourcing des recommandations et bonnes pratiques issues de ses différents réseaux.  Outils collaboratifs, messageries instantanées, astuces pour optimiser les échanges en visio ou audio, conseils pour garder l’accès aux boîtes mails et au réseau de l’entreprise… Tout y est.

Pour autant, il n’en demeure pas moins que toutes les tâches ne sont pas forcément télétravaillables. Les retours d’expériences convergent vers la nécessité de dialoguer avec les employés pour adapter les priorités, reporter ce qui n’est pas gérable à distance et rééquilibrer les plans de charges.

Et le rôle du manager dans tout ça ?

On l’a vu : le manager est un acteur clé de la communication de crise. Compte tenu de ses responsabilités particulières, beaucoup ont témoigné ces derniers jours de leur première urgence : rassurer les équipes.

Au-delà de cela, le rôle du manager est particulièrement mis au défi.

Défi n°1 : Maintenir la dynamique collaborative

L’éclatement forcé des équipes porte un risque de distanciation collaborative à la fois entre le manager et ses équipes, mais aussi entre les collaborateurs eux-mêmes.

C’est la raison pour laquelle une organisation comme la Région Grand-Est a doté l’ensemble de ses managers d’un « Guide du management à distance en situation exceptionnelle ». Comment travailler avec ses équipes en temps de crise ? Comment garder le lien ? C’est à ces questions que le guide tente de répondre, notamment grâce à de nombreuses bonnes pratiques qui peuvent éclairer les managers au quotidien.

L’objectif est de relancer une dynamique relationnelle proche de celle du lieu de travail physique… tout en ayant conscience que la présence des enfants et les aménagements parfois précaires des espaces de travail – qui dans la cuisine, qui dans la chambre du petit dernier – doivent être pris en compte.

© Adobe Stock / Marina Andrejchenko

Ainsi, « le risque avec la distance étant de manquer de repères temporels, il faut les recréer, au travers de rituels », explique Élie Sic-Sic. Cela peut simplement passer par des points d’équipe réguliers en visioconférence.

Mais rassurons-nous quand même un peu ! Beaucoup de managers gèrent des équipes en multisites toute l’année, en ne voyant pas toute l’équipe tous les jours. Et les collaborateurs se voient d’ailleurs rarement entre eux… Pourtant tout ce beau monde survit très bien, même s’il y a bien sûr des difficultés comme partout ailleurs.

Quelques retours d’expériences :

-  Adapter son management à la distance et au multisite : ne pas reproduire la réunionite en visio (réfléchir à deux fois avant de monter une réunion, en sélectionnant les invités, etc.), faire confiance aux collaborateurs (cela peut être l’occasion d’une montée en autonomie pour certains…),
- Prendre la mesure des risques liés aux sollicitations intempestives : quand le site de travail est à la maison, les sollicitations intempestives peuvent être vécues comme intrusives ; si elles sont parfois nécessaires, bien sûr, l’idée est ne pas en abuser – autant que faire se peut…
- Mieux réguler les boucles mails : parce qu’on est en multisites, il peut être tentant de recréer un lien que constituerait la copie de mails systématique à la moitié de l’équipe,
- Pour contribuer à clarifier ces règles collectivement, convenir d’un cadre qui convienne à tous, au moins en interne à l’équipe. Un exemple : des temps de productions en matinée (seul ou via des documents partagés), réunion visio en début d’après-midi puis disponibilité de chacun pour des appels bilatéraux de calage/précisions sur les dossiers en cours le reste de la journée.

Défi n°2 : Accompagner le changement

La dimension psychologique ne doit pas être sous-estimée : la nature de la crise est déjà source d’angoisses potentielles chez les employés. Le brusque changement d’environnement professionnel l’est tout autant. En outre, la mise en place à marche forcée du télétravail n’a pas forcément laissé beaucoup de place à la pédagogie.

C’est donc une véritable conduite du changement qui doit se piloter et s’accompagner. Les managers vont avoir la lourde tâche d’accompagner leurs agents dans cette dynamique. Lourde tâche, car en l’occurrence le changement est subi, forcé et particulièrement violent.

Dans des circonstances normales, on sait que le changement passe par des étapes de dénis, d’incompréhension, de rejet… avant de cheminer vers une situation où la plupart des acteurs adhère au projet de transformation. Alors dans les circonstances actuelles, les risques de rupture sont sans doute exacerbés.

Or, les managers ne sont pas toujours à l’aise avec la conduite du changement. Les raisons sont diverses mais parmi elles, on identifie parfois un manque de formation à la conduite du changement. Il peut aussi s’agir de difficultés plus générales en matière d’animation managériale (n’oublions pas que beaucoup de managers n’ont jamais eu accès à des formations en management !).

Pour les DRH, cela implique d’aider le manager à orienter sa posture et ses pratiques pour s’adapter aux circonstances exceptionnelles. Cela implique également un renforcement du « mode projet ».

En effet, la continuité des services, même en mode dégradé, conduit chaque Direction, Service, etc. à s’interroger sur :

–             Ses priorités : quels projets doivent être maintenus ? Lesquels doivent être reportés ?

–             Les ressources à réallouer compte tenu des nouvelles priorités

–             La formalisation de ces nouvelles priorités dans une feuille de route de court terme.

Une fois cette clarification faite, tous les outils de gestion de projet peuvent être mobilisés, comme l’y encourage par exemple la Région Grand Est dans son Guide.

Attention toutefois à ne laisser personne sur le carreau : tout le monde n’est pas égal face aux outils numériques. A ce titre, les tutoriels et formations à distance peuvent être salutaires, tout comme le mentoring entre pairs. Et puisque les formations en présentiel ont été annulées ou reportées, il pourrait être intéressant de se tourner plus généralement vers les solutions de formation à distance dans les prochains temps. Surtout si le confinement se poursuit jusqu’à l’été. France Université Numérique va par exemple réouvrir progressivement ses MOOC archivés pour les rendre accessibles au plus grand nombre.

Avec le recul, il pourrait enfin être intéressant pour le manager d’identifier les effets cliquets possibles et les opportunités de pérennisation du télétravail dans le cycle de travail (notamment, au bénéfice des agents ayant habituellement des temps de transport importants).

Défi n°3 : Être à l’écoute

La nature de la crise actuelle est anxiogène. Les bouleversements de l’environnement de travail vont l’être aussi pour beaucoup. Pour les managers, il s’agit donc d’être attentif aux signaux faibles des collaborateurs.

Mais il sera sans doute plus difficile de les identifier à distance. C’est pourquoi certains employeurs étudient la pertinence de recourir à des outils digitaux qui permettent d’évaluer l’expérience collaborateur.

Ces baromètres permettent, à distance, de bénéficier des retours d’expérience des employés, en particulier en matière de bien-être. Habituellement, ces outils s’inscrivent en effet dans le cadre de démarches RH de Qualité de vie au travail (QVT). En objectivant le ressenti des collaborateurs tout au long de leur parcours dans l’entreprise, ils permettent à l’employeur de mettre en œuvre des politiques RH qui « collent » au maximum aux besoins des employés, ce qui assure un meilleur engagement des collaborateurs.

Quelques retours d’expériences :
-         Compter sur les collaborateurs pour faire émerger les idées nouvelles de fonctionnement interne
-        Profiter de ce temps pour revenir avec eux sur des sujets de fond et laisser certains investiguer des champs qu’ils n’ont pas le temps de creuser habituellement

Et après ?

Pour Laetitia Vitaud, spécialiste des évolutions du travail, un pas supplémentaire vient d’être fait vers une substantielle mutation du travail. L’épisode des gilets jaunes avait déjà conduit à un rattrapage français en matière de télétravail, essentiellement pour les cadres, explique-t-elle à la Lettre du Cadre. La crise du COVID-19 parachèverait la dynamique.

« Quand la crise sanitaire et le confinement prendront fin, il y a fort à parier que nous ne reviendront pas en arrière. » Laetitia Vitaud, Courrier des cadres du 19 mars 2020

C’est qu’au-delà du télétravail, l’épisode actuel pourrait détruire plusieurs barrières.

« La fin du bureau ? »

C’était le titre du colloque annuel de l’Association nationale des DRH  (ANDRH) en octobre 2018. Emmanuelle Léon, aujourd’hui Directrice Scientifique de la Chaire Reinventing Work à l’ESCP Business School, y soulignait avec brio l’ambivalence entre le besoin d’un bureau et un certain désir d’affranchissement de la relation à la contrainte qu’il symbolise.

C’est que le bureau est issu d’une longue histoire qui a façonné nos sociétés. Pour Emmanuelle Léon, la filiation avec l’industrialisation de la société ne fait pas de doute : les premiers open spaces se rapprochaient beaucoup plus des usines d’antan que d’espaces de travail modernes. Puis, les logiques d’économies d’échelle ont dû se résoudre à prendre en compte la prégnance des besoins de concentration et de privatisation de l’espace. Y compris pour les managers : manager en open space, c’est « être en scène en permanence ».  Il n’est donc pas si surprenant de voir comment les GAFA reviennent progressivement au bureau.

« Playtime », un film de Jacques Tati de 1967

Mais il ne s’agit pas non plus d’un retour en arrière car le bureau est en train de se réinventer et il est vrai que la crise risque d’accélérer le mouvement.

Du reste, certaines collectivités étaient déjà dans cette dynamique. Comme la Région Ile de France qui a profité du déménagement de ses locaux depuis le centre de Paris vers la banlieue parisienne pour transformer sa politique managériale : télétravail massif, espaces modernisés, flex-office, open space « nouvelle génération »… L’aménagement des espaces de travail est désormais un atout indéniable pour sa marque employeur.

Aussi, le télétravail généralisé pourrait conduire à ce qu’on peut déjà observer dans les organisations qui l’ont adopté : des espaces réinventés qui répondent tant au besoin d’échanges et de rencontres que le télétravail ne permet pas, qu’à la persistance d’une certaine représentation du travail associée au bureau.

La fin du présentéisme ?

Car la conception française au travail est très orientée sur la présence physique au bureau. En particulier pour les cadres.

L’économiste et anthropologue Philippe d’Iribarne a démontré en quoi les entreprises françaises sont pétries d’une sorte de logique de l’honneur, « aussi exigeante dans les devoirs qu’elle prescrit que dans les privilèges qu’elle permet de défendre » (« La logique de l’honneur. Gestion des entreprises et traditions nationales », éditions du Seuil). C’était à la fin des années 80 et le constat reste vrai dans un pays où les réminiscences des ordres de l’Ancien Régime persistent et imprègnent les relations sociales, notamment au travail, explique-t-il.

Par exemple, c’est cette logique de l’honneur qui explique pourquoi un cadre « doit » être présent avant ses collaborateurs le matin, et partir après eux le soir.

L’analyse iribarnienne vient en outre donner tort à l’argumentaire selon lequel le développement des outils digitaux détraque les repères entre vie privée et vie professionnelle, rendant les cadres corvéables à merci.

« Ce que les technologies ont simplement rendu possible préexistait déjà dans notre culture professionnelle hexagonale et notre conception du travail. », Caroline Sauvajol-Rialland, spécialiste de l’infobésité, Les cahiers de la communication interne, juin 2017

Là où le télétravail généralisé vient brouiller les pistes, c’est en plaçant hors du regard les temps de présence des uns et des autres, y compris ceux du manager. Et justement, à l’heure actuelle, beaucoup d’organisations sont encore en train de fixer les règles de la collaboration à distance : fixation des objectifs, règles de bonne utilisation des outils digitaux, etc. Les bons usages et les bons cadres se décident maintenant !


Quelques retours d’expérience :

- L’exemplarité : rester seul au bureau en pleine période de confinement n’est pas forcément un signal d’exemplarité, en tout cas si l’activité est télétravaillable
- Lâcher du lest : moins de réunions, plus de coups de fils, d’échanges bilatéraux de qualité…et il est aussi recommandé d’éviter le coup de fil qui a pour seule visée de vérifier que le salarié travaille !
- Déconnecter : le manager doit, en ce moment plus que jamais, respecter et faire respecter le droit à la déconnexion
- Montrer qu’un manager est un être humain et pas un super-héros : oui, il a des enfants, et il va lui aussi s’adapter, garder ses enfants, faire l’impasse sur telle réunion car c’est cours de maths, faire une pause à 16h car c’est le goûter…

La fin de l’insécurité ?

Si le déploiement du télétravail a longtemps été un frein dans les organisations, c’est aussi pour le risque qu’il représente. Un risque qui sera probablement mieux maîtrisé à l’avenir, « grâce » à la crise.

En effet, potentiellement, le télétravail expose les systèmes d’information à des menaces et des erreurs de traitement. Sa généralisation, en urgence de surcroît, est une aubaine pour « les pirates informatiques [qui] profitent de la période pour pénétrer les systèmes et faciliter leurs démarches illégales », prévient la start up ITrust. Comme beaucoup d’acteurs de la French Tech, cette société située en Région Occitanie s’est mobilisée pour proposer aux entreprises et aux collectivités des solutions en matière de cybersécurité. En l’occurrence, il s’agit d’un kit « Cyber Covid-19 » pour renforcer leurs défenses face au cyberpiratage.

jaydeep_

Quoiqu’il en soit, les défis des prochaines semaines sont nombreux et les managers vont être mis à rude épreuve. Mais finissons par une touche d’optimisme : et si toute cette autonomie, bien gérée, donnait des ailes aux collaborateurs ? Pour se former davantage, pour envisager un job de coordination dont ils ne se sentaient pas capables, pour envisager d’autres activités… Car si la période actuelle nous interroge collectivement sur notre rapport au travail et au management, elle peut aussi être une occasion pour chacun de se recentrer sur ses besoins, ses capacités, ses envies…et ouvrir de belles perspectives 😊 .

Ce billet vous a été proposé par le Billet du Manager, en partenariat avec le Lab’AATF.

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