On aura beaucoup parlé d’engagement et de mobilisation ces derniers mois. A l’heure du déconfinement, beaucoup de managers s’interrogent sur la dynamique qui se profile. Est-ce que les collaborateurs qui ont goûté au travail à la maison auront la motivation d’un retour au bureau ? Ceux qui n’auront pas pu travailler pendant le confinement sont-ils prêts à reprendre ? Y aura-t-il une démotivation ? Ou à l’inverse, un excès de zèle ? Et les managers eux-mêmes, fortement mobilisés pendant la crise, ont-ils encore assez de batterie pour la nouvelle étape qui commence ?
Au temps des Pharaons, on ne s’embêtait pas avec toutes ces questions. Dans « Asterix et Cléopâtre », la bande-dessinée cultissime du duo Uderzo-Goscinny, la motivation des employés se mesure au nombre des coups de fouets qui rythment la cadence du travail. Pour ceux qui ne l’ont ni lu, ni vu (Pierre Tchernia en a fait un dessin-animé en 1968 et Alain Chabat l’a transformé en une hilarante pépite cinématographique en 2001), voilà le pitch. On est donc au temps des Pharaons. La Reine d’Egypte est passablement excédée par les sarcasmes de César qui, il faut le dire, lui fait souvent monter la moutarde au nez – qu’elle a fort joli, dit-on. Si bien qu’un jour, elle décide de le défier : elle fait le pari de faire construire un palais somptueux dans la ville d’Alexandrie en seulement trois mois !
Pour Numérobis, l’architecte en charge du projet, c’est un sacré défi. D’autant plus que son rival Amonbofis, jaloux de ne pas avoir été désigné pour accomplir l’ouvrage, lui met de sacrés bâtons dans les roues. A commencer par inciter les esclaves du chantier à se rebeller contre les conditions de travail. Heureusement, le Druide Panoramix intervient : grâce à sa fameuse potion magique, les esclaves voient leur énergie décuplée et, last but not least, obtiennent au passage un grand progrès social avec la diminution du nombre de coups de fouets.
Mais comme le dit la chanson, « il est fini le temps des cathédrales ». Aujourd’hui, on ne fouette plus dans l’air pour marquer la cadence et augmenter la performance. Désormais, c’est la notion « d’engagement collaborateur » qui semble être devenue la clé de voûte du management moderne. Et à raison !

Engagement et marque employeur
De nombreuses recherches convergent pour en montrer les bénéfices – pour les collaborateurs eux-mêmes mais aussi pour les organisations.
Pour celles-ci, l’engagement a un impact positif sur la performance globale, la fidélisation à l’employeur (un collaborateur engagé aurait 87% moins de chances de quitter son entreprise) ou encore l’expérience client (Right Management). Et dans cette dynamique, il apparaît que les conditions de travail sont devenues le critère n°1 de toute une génération, avant le salaire et les attributs symboliques du titre…
L’amélioration des conditions de l’engagement collaborateur est donc logiquement devenue une préoccupation stratégique pour les entreprises. L’engagement vient en effet nourrir la marque employeur. Or une bonne marque employeur, c’est potentiellement un avantage comparatif face à des organisations qui évoluent dans le même secteur d’activité. Un exemple concret : plus la marque employeur est forte, plus l’entreprise a des facilités pour attirer les talents.
Même dans le secteur public, on commence à s’y intéresser sérieusement. La start up Profil Public, spécialisée dans l’accompagnement des employeurs publics, a récemment produit un éclairant Livre Blanc sur ce sujet. Comme le souligne Sigrid Berger, fondatrice de Profil Public , « le secteur public a commencé à s’y intéresser face à de nouvelles contraintes : guerre des talents, image dégradée du secteur public, difficultés de recrutement, départs à la retraite des générations de babyboomers…. » (Marque employeur & Service public : Comment se démarquer pour attirer et fidéliser les talents, Livre Blanc).
Quoiqu’il en soit, les managers ont un rôle clé à jouer dans ces stratégies. Mais avant d’y venir, une petite clarification s’impose.
L’engagement des collaborateurs, késako ?
Motivés
Les pharaons ont eu leurs pyramides ; le management a eu la sienne.

Dans les années 1940, le psychologue américain Abraham Maslow expose la théorie selon laquelle il existe une série de besoins fondamentaux et universels : les besoins physiologiques, les besoins de sécurité, les besoins d’appartenance et d’amour, les besoins d’estime et le besoin d’accomplissement de soi. Maslow représente cette taxinomie par une pyramide : la fameuse « pyramide des besoins ». A sa base, on retrouve les besoins physiologiques (manger, boire, etc.). Lorsqu’un besoin est satisfait, l’être humain peut passer au besoin supérieur et ainsi de suite, jusqu’au sommet de la pyramide où se trouve le besoin de réalisation personnelle.
Cette approche peut aujourd’hui apparaître un peu datée, mais elle est une théorie fondatrice qui est à la base du management. En particulier parce que ses implications conduisent à une conclusion édifiante : les collaborateurs recherchent un métier qui permette de subvenir à leurs besoins physiologiques et à leur besoin de sécurité, mais ils recherchent aussi un métier qui les valorise et qui favorise leur épanouissement personnel. C’est pourquoi plus l’employeur est capable de répondre à un nombre important de ces besoins, plus il renforcera la motivation des collaborateurs :
- Besoins physiologiques : avoir un salaire permettant de vivre décemment
- Besoins de sécurité : posséder une stabilité d’emploi, un environnement et conditions de travail sécurisants
- Besoins d’appartenance : être intégré dans un groupe de collègues, être informé régulièrement de la vie de l’entreprise
- Besoins d’estime : être reconnu par son manager, ses collègues – exercer un métier utile, posséder un titre valorisant, exercer dans un espace de travail prestigieux
- Besoins d’accomplissement de soi : atteindre des objectifs particulièrement difficiles, se perfectionner, élargir ses compétences, devenir un expert dans son domaine, résoudre des problèmes complexes… mais aussi être autonome dans son poste
Pourtant aujourd’hui, cette dynamique besoins-motivation apparaît toutefois insatisfaisante.
D’abord, parce qu’il n’intègre pas la notion des valeurs. C’est pourquoi ce modèle peut utilement être complété par les apports du chercheur en psychologie sociale Shalom H. Schwartz. Pour lui, les motivations humaines sont l’expression des valeurs. Ses recherches ont conduit à identifier une dizaine de valeurs universelles qui parfois s’opposent, parfois se complètent. Elles sont présentes en proportions différentes chez les uns et les autres, si bien que les motivations diffèrent donc logiquement d’une personne à une autre.

Or, cette structure des valeurs motive non seulement l’action mais elle guide également l’évaluation de l’action des autres. Cette approche recèle dons des trésors managériaux en matière de dialogue au sein des équipes et de compréhension de l’altérité. Comprendre que l’autre a peut-être une autre structuration des valeurs, et donc de motivation, est l’une des expressions la plus basique de l’empathie.
Cela dit, la motivation renvoie avant tout à l’idée d’une mise en action. Au sens étymologique du terme, le mot dérive de « motif », lui-même issu du latin movere : « se mettre en mouvement ». Donc la mécanique de Maslow implique que dès lors qu’il est répondu à un besoin, la mise en action peut se faire. Elle se fera selon sa propre structuration de valeurs, au sens de Schwarz. Mais au final, ce mouvement est limité dans le temps. Ce que nous recherchons, nous, c’est à l’inscrire dans la durée.
Il faut donc quelque chose en plus.
Impliqués
Les années 1960 ont été marquées par l’invention de la mini-jupe et l’abondance d’une littérature scientifique sur la notion d’implication.
Traduction de l’anglais commitment, la dynamique d’implication a d’abord été théorisé par des chercheurs anglo-saxons. Ils l’ont définie comme un attachement affectif du salarié à son entreprise. C’est un attachement qui va au-delà de la loyauté passive à l’organisation.
En effet, un salarié impliqué se distingue par une forte croyance dans les buts et valeurs de l’organisation, par une volonté d’exercer des efforts importants au profit de l’organisation et par le souhait de rester membre de celle-ci.
En somme, dans cette approche, l’implication renvoie au lien entre l’individu et l’organisation. Mais un salarié impliqué n’est pas forcément un salarié engagé – du moins selon les textes.
Engagés
A partir des années 1990, certains chercheurs compliquent en effet un peu les choses en appliquant une distinction entre l’implication et l’engagement.
C’est en particulier le cas du chercheur français Jean-Pierre Neveu pour qui il y a bel et bien une différence. En effet, explique-t-il, la confusion méconnait la différence qu’il existe entre les termes anglo-saxons de committment et de d’involvement.
Le commitment s’emploie en anglais au sens d’organizational commitment, qu’on pourrait traduire par « implication organisationnelle ». Il y a comme on l’a vu un clair renvoi aux rapports développés par l’individu envers son organisation.
En revanche, involvement s’entend comme un job involvement, c’est-à-dire une adéquation entre le collaborateur et son emploi. Et c’est pour mieux traduire ce dernier que Neveu propose d’introduire le terme « engagement ».
L’impact n’est pas anodin car il y a un effet périphérique à cette notion d’engagement. En effet, les collaborateurs peuvent être engagés sur des projets, activités et missions qui ne sont pas directement liés à l’entreprise. Cela peut être un engagement personnel, social, associatif… Le champ des possibles est large. Eh bien ces collaborateurs vont apporter cette richesse à l’organisation. A condition de leur laisser cette possibilité (par exemple : un passionné de musique qui pourra mettre en place une initiative pour ses collègues, un collègue engagé pour le climat qui fera des actions de sensibilisation dans l’entreprise, etc.).
L’autre apport de la distinction sémantique de Neveu, c’est que l’engagement renvoie également à une forme de contrat moral entre le collaborateur et son organisation : l’engagement tient en effet son origine « d’engager » qui signifie « (se) mettre en gage ». Il s’agit donc pour le collaborateur engagé de se mettre au service d’une cause commune à son organisation, dans la durée. Et voilà qui règle le problème du caractère fugace de la motivation.
En pratique
Dans la pratique, la sémantique managériale ne s’embarrasse pas vraiment de ces distinctions. Dans le monde des consultants, des RH et des organisations, on englobe généralement sous le vocable « engagement » aussi bien la motivation, que l’implication et l’engagement stricto sensu.
Mais on fait généralement une distinction opérationnelle entre :
- L’engagement envers l’entreprise/l’organisation, la marque, la cause/l’objet social de l’employeur (le sentiment d’appartenance voire de la fierté),
- L’engagement envers son travail (la volonté de s’investir pleinement dans ses missions, ce qui se rapproche de la définition qu’en donne JP Neveu),
- L’engagement envers son environnement de travail (on retrouve ici la notion « d’implication » à l’égard de l’organisation, du collectif de travail ou de l’équipe),
- L’engagement envers son manager (la relation managériale : loyauté, confiance, etc.),
L’avantage de cette nouvelle taxonomie, c’est son caractère opérationnel. On peut en effet imaginer assez rapidement quels sont les leviers à activer pour améliorer chacune de ces dimensions de l’engagement : travail sur les valeurs, la stratégie d’entreprise, sur la définition des missions, sur le collectif de travail et les bureaux, sur les pratiques managériales, etc.
Cette taxonomie ouvre également un terrain de compréhension sur les potentiels conflits intrinsèques à chacun. Un exemple : un collaborateur peut être fortement engagé pour le service public mais peut trouver que ses conditions de travail ne lui permettent pas d’exprimer pleinement cet engagement. Cela peut créer par exemple un sentiment de culpabilité. Appliquée à soi-même, cette taxonomie aide aussi à se situer par rapport à ses propres engagements… et ses éventuelles frustrations.
L’engagement collaborateur commence-t-il dès le recrutement ?
C’est en tout cas le pari de certains experts du recrutement qui prônent l’engagement candidat.
L’équation (simplifiée) est la suivante :
- D’un côté, certains secteurs en tension se caractérisent par plus de postes à pourvoir que de candidats, comme l’informatique. Or, les process de recrutement sont parfois lourds et redondants. Les candidats ayant l’embarras du choix se concentreront donc sur les entreprises qui offrent la meilleure expérience candidat, soit parce que les process sont simples, soit parce qu’ils sont ludiques (« engageants » dans le langage consultant).
- De l’autre, l’employeur/le manager doit sécuriser son process de recrutement pour que le talent choisi soit le plus pertinent. Pour ce faire, il a donc besoin d’un process qui permette de valider toute une série de critères (compétences techniques, comportementales, etc.).
C’est là que la marque employeur, en particulier, va jouer.
« [La marque employeur] est considérée comme la « proposition de valeur RH » ou la « promesse RH » de l’organisation et elle s’appuie sur son identité en tant qu’employeur qui est la perception ressentie par l’ensemble des cibles : collaborateurs, candidats potentiels, etc. » Marque employeur & Service public, Livre blanc de Profil public
Il va s’agir de moderniser son recrutement, notamment en y appliquant les codes du marketing, de la communication et du digital, nous dit Profil Public qui rappelle également combien le manque ou l’absence d’informations récentes sur les réseaux sociaux peut freiner la motivation d’un candidat.
C’est dans cette logique que des organisations se tournent vers des solutions innovantes développées par des start up RH comme Monkey Tie ou AssessFirst. Ces solutions reposent sur une mécanique de matching ou appariement entre les valeurs de l’employeur et du candidat. Certes, en se fondant sur des tests déclaratifs analysés par algorithmes, cela n’est pas sans poser de questions. Mais les recruteurs qui se sont prêtés à l’exercice font valoir le mérite d’une doctrine claire : des valeurs communes maximiseraient l’engagement.
Mais il s’agit aussi d’engager une interaction continue avec le candidat tout au long du process de recrutement. Cela peut commencer par donner des informations claires et précises sur la façon dont le candidat va être évalué : adéquation entre son expérience et les expertises attendues sur le poste, adéquation entre ses motivations et les valeurs de l’organisation, etc. L’employeur peut inviter le candidat à réfléchir, en amont du recrutement, à ces différents critères et à identifier en quoi il s’inscrit potentiellement dedans. C’est ainsi que l’expérience candidat commence, avec déjà une dimension engageante à travers ce travail préparatoire.
En complément, il peut être utile de donner à voir au candidat à quels parcours professionnels il peut s’attendre en rejoignant l’entreprise. Ce faisant, dans son travail préparatoire, le candidat va également se prêter à l’exercice de la projection (au sein de l’organisation, à 1 an, 2 ans, 5 ans, etc.).
L’expérience candidat a cela d’important que c’est à ce moment que va se créer la relation à l’organisation et/ou au poste – et donc la dynamique d’engagement. Ou pas : l’exercice préalable de projection va aussi permettre au candidat de vérifier si potentiellement, il peut s’imaginer évoluer au sein de l’entreprise ou pas, auquel cas il pourra se retirer. Ce qui vaut mieux pour lui et pour l’organisation.
Certaines entreprises vont plus loin en incluant une étape d’immersion pour les candidats arrivés dans la short-list finale (c’est-à-dire les 2 ou 3 candidats qui se sont le plus démarqués). Il s’agit par exemple d’une journée passée en observation au sein de la future équipe, afin qu’ils se rendent mieux compte de la réalité du poste. De cette façon, le potentiel d’intégration au sein du collectif peut aussi être apprécié, de même que la qualité de la future relation managériale.
Quoiqu’il en soit, le recrutement de son futur collaborateur est le premier acte managérial pour un manager. Qu’il fasse lui-même partie du process de recrutement ou que celui-ci soit intégralement délégué aux RH, il est utile qu’il soit attentif à la façon dont la mécanique est mise en œuvre dans son organisation. Car l’engagement collaborateur commence par là : une bonne expérience candidat permet de débuter la relation managériale avec une réserve d’engagement favorable. Et pour l’employeur, il est toujours plus sympathique d’avoir une bonne réputation en matière de recrutement, ce qui arrive même quand on n’a pas été l’heureux élu sur le poste mais qu’on a vécu le process de façon positive. Comme on l’a vu, cela participe à la marque employeur.
Maintenant, reste à maintenir l’engagement tout au long du parcours du collaborateur au sein de l’organisation… C’est plus facile à dire qu’à faire, certes. Mais il existe des leviers, en particulier pour le manager.
Les leviers de l’engagement collaborateur
L’animation managériale : le 1er moteur de l’engagement
En matière d’engagement, comme d’habitude beaucoup repose sur les managers. Selon les collaborateurs eux-mêmes, 70% de leur niveau d’engagement est imputable à la qualité du management.
Alors où chercher l’inspiration ?
Eh bien Alexia de Bernardy a fait ce travail. Elle a analysé 80 ouvrages, une centaine de vidéos, 2 sondages, 250 témoignages avec des DRH, membres de comités exécutifs, entrepreneurs, salariés opérationnels, commerçants, etc. Avec tout ce matériau, elle a écrit « Moteurs d’engagement : 365 actions pour mieux travailler ensemble ». Il s’agit d’un outil très opérationnel puisqu’on y trouve des exemples de bonnes pratiques pour les managers, de celles qu’on peut mettre en place soit même au sein de son équipe, jusqu’à celles qui impliquent un travail de plus longue haleine.
Chacun pourra donc y piocher ce dont il a besoin en fonction de son caractère et de son contexte professionnel. Certaines pratiques plus innovantes, voire plus rares, sont également mises en lumières. J’avoue une prédilection particulière pour le numéro 316 : « Autoriser le droit à la sieste sans l’encadrer ».
Une demi-boutade en réalité puisque je me souviens l’avoir moi-même vécu chez l’un de mes précédents employeurs. Et cela, non pas en Espagne ou en Italie, mais… en Allemagne. Chacun à tour de rôle, l’équipe avait le droit à un petit quart d’heure de sieste dans un hamac prévu à cet effet pour recharger les batteries.
Plus sérieusement, il est certain que le management a cela de passionnant que chacun le vit et y réagit avec sa personnalité et son histoire. Tout le monde ne verra pas dans l’instauration de la sieste un acte managérial puissant. Mais on sait aussi qu’un simple « bonjour » ou un petit « merci » n’est parfois pas vu comme quelque chose d’important par certains managers. Car après tout, « nous n’avons pas tous le même sens du bon sens », rappelle Alexia de Bernardy.
Cela dit, n’y a-t-il pas des lignes de forces à avoir en tête, nonobstant nos différences d’approches ?
Du sens à toutes les sauces.
L’engagement n’est pas gratuit. Il coûte au collaborateur. Et pour le philosophe Jean-Philippe Pierron, le prix à payer de l’engagement, c’est la mobilisation de sa liberté (L’engagement. Envies d’agir, raisons d’agir, Sens-Dessous, 2006).
Le collaborateur engagé investi en effet une lourde part de son temps, de sa liberté, au service d’une cause commune par le biais de l’exercice de ses missions. Il ne peut donc pas y avoir d’engagement sans une réelle appropriation du projet collectif : c’est ce « sens » qu’il faut pouvoir lui donner à voir.
Pour l’encadrement intermédiaire et l’encadrement de proximité, en particulier, cette exigence prend des contours très opérationnels. Cela consiste en effet à rappeler régulièrement le sens des tâches et leur contribution aux objectifs de la mission. Même quand les missions se transforment et évoluent, il est essentiel de pouvoir en donner des clés de compréhension. Beaucoup témoignent que dans un tel contexte, cela commence par une posture d’écoute des collaborateurs. Il s’agit aussi de tenir compte de leurs avis notamment sur les impacts des évolutions des missions et des tâches. Cette écoute des conséquences renforce en effet le sens donné à l’acte.
Quoiqu’il en soit, ces postures sont particulièrement importantes dans la mesure où l’environnement des organisations est mouvant. Au fond, de nos jours, le changement, c’est tout le temps. Y compris dans le secteur public. Ainsi, dans le contexte de la loi de transformation de l’action publique d’août 2019, une étude Kantar Publi-onepoint de 2019 a montré que 81% des agents des 3 fonctions publiques jugent que cette transformation est importante. En revanche – et c’est ici que le bât blesse, seuls 22% des agents déclarent en avoir une vision positive.
Plaisir et volupté.
Le sens répond à la question du pourquoi. Pour favoriser l’engagement, on peut aussi s’intéresser au comment.
Francis Boyer, auteur du blog innovationmanageriale.com a une approche assez iconoclaste des choses en rejetant l’injonction de « bonheur au travail » au profit du « plaisir au travail ». Déjà, parce que l’un et l’autre sont hormonalement très différents. Le bonheur produit de la sérotonine, qui est inhibitrice et provoque un état de zénitude. Le plaisir, lui, produit de la dopamine qui est un excitant.
Ensuite, parce que le plaisir a cela d’intéressant que potentiellement, il apparaît pendant l’acte (je parle de travail, bien sûr). Il est complémentaire d’autres mécanismes comme la motivation (souvenez-vous : la motivation permet de passer à l’acte) et la satisfaction (le ressenti de la tâche accomplie).
C’est pourquoi le management devrait s’intéresser de plus près au plaisir au travail, explique Francis Boyer, mettant en avant une étude anglaise selon laquelle un salarié qui éprouve du plaisir à travailler serait plus productif de 12%. Et cela, parce que le plaisir est un facteur d’engagement.
L’auteur propose plusieurs manières d’intégrer cette approche dans ses pratiques managériales. A commencer par l’exemple de Décathlon : l’enseigne consent à offrir jusqu’à 30% de son temps aux collaborateurs pour concrétiser des idées qui sont sources de plaisir et qui sont bénéfiques pour l’entreprise. Mais c’est aussi l’invitation à aider le collaborateur à identifier ses zones de plaisir et ses zones de désirs…
Je m’explique : il s’agit de croiser les notions de « savoir-faire » et « d’aimer-faire » dans une matrice à double entrée (qui n’est pas sans rappeler le fameux Ikigaï présenté dans le billet A votre santé ! Innovation managériale, santé et QVT) :
- « Je sais faire et j’aime faire », ce qui permet d’identifier la fameuse « zone de plaisir »,
- « Je ne sais pas faire et j’aimerais faire » afin de comprendre quelle est sa « zone de désir »,
- « Je sais faire et je n’aime pas faire », ce qui correspond à sa « zone de concession », c’est-à-dire ce qu’il accepterait de faire par obligation ou par devoir sans pour autant apprécier cette tâche,
- « Je ne sais pas faire et je n’aimerais pas faire » pour identifier sa « zone de résistance ».
Ce faisant, il se dessine une cartographie qui va permettre de travailler à la valorisation des zones de plaisir et de désir afin de renforcer l’engagement des collaborateurs. Ou en tout cas, on pourra chercher à maintenir un équilibre pour que ces zones ne soient pas négligées.
Reconnaissance et évaluation
La plupart des managers le disent : le levier de base de l’engagement est la reconnaissance. A commencer par dire merci.
Il y a le merci du manager au collaborateur, mais pas que ! Certaines équipes mettent par exemple en place des « murs de gratitude ». L’idée est simple mais les retours tendent à montrer que c’est efficace. Cette pratique de management visuel consiste pour chaque collaborateur qui le souhaite à venir coller un post-it sur le mur de l’espace de convivialité, par exemple. Sur le post-il : un remerciement d’un collègue pour l’aide apportée, ou pour sa bienveillance.
« Remercier, c’est donner ; rendre grâce, c’est partager. » André Comte-Sponville, Le Petit Traité des grandes vertus
Dans un genre plus traditionnel, l’évaluation annuelle est un temps fort de l’animation managériale qui permet de faire le bilan de l’engagement du collaborateur et de reconnaître sa contribution au collectif. Bien souvent d’ailleurs, l’évaluation se résume à un bilan de fin d’année et, parfois, un entretien d’objectifs en début d’année. Dans la fonction publique, l’évaluation prend la forme d’un entretien professionnel une fois par an où ces deux volets sont traités en une séquence unique.
Ce modèle reste un rituel très attendu par les collaborateurs. Mais la combinaison des attentes des nouvelles générations qui entrent dans le marché du travail d’une part, l’évolution de la relation au travail d’autre part, le rend insuffisant. Beaucoup prônent désormais des rendez-vous plus réguliers, ne serait-ce que pour accompagner au mieux le développement des compétences.
Dans le secteur public, par exemple, certains Ministères ont mis en place une évaluation à 360°. Cette méthode est appliquée en interne par la DRH, en faisant appel éventuellement à un consultant externe par souci d’indépendance. Elle consiste à faire évaluer les actions d’un agent par le supérieur hiérarchique, les collaborateurs, les pairs, les bénéficiaires internes ou externes, et les partenaires. De cette façon, le collaborateur identifie mieux quels sont ses axes de développement et pour le manager, c’est une occasion de recevoir un feedback sur son animation managériale.
Et en parlant des attentes des jeunes collaborateurs, cette dimension a été au cœur de l’évolution de l’évaluation de Capgemini, à partir de juillet 2018. Elle a consisté en l’instauration d’un système d’évaluation permanente pour les jeunes recrues de l’entreprise. L’application « CapGénie », développée en interne, a été déployée auprès de 5000 salariés « juniors ». Huit compétences clés y sont identifiées. Le salarié s’y auto-évalue après chacune de ses missions, charge au manager de valider ou pas l’acquisition de la compétence.
En complément, ces salariés se sont vus accompagnés par un coach career manager chargé de les épauler et d’établir avec eux des baromètres de performances trimestriels.
Cette expérience semble avoir fonctionné dans la mesure où le taux de promotion a augmenté de 22% à 28% dès la première année.
L’exemple de Capgemini pose au passage la question du facteur générationnel : les leviers d’engagement sont-ils les mêmes à tout âge ? Ou y a-t-il des spécificités à prendre en compte selon les générations ?
Y a-t-il un facteur générationnel ?

« Le Nouveau stagiaire » est un film de Nancy Meyers, sorti en 2015. C’est un feel good movie assez représentatif de cette réalisatrice et scénariste spécialiste des comédies romantiques sans prise de tête. Dans celle-ci, il y a des trames amoureuses mais ce n’est pas ce qui en fait le sel. C’est plutôt l’histoire d’une confrontation professionnelle entre les générations.
Dans ce film, Robert De Niro campe un veuf de 70 ans qui s’ennuie ferme. Pour pimenter sa retraite, il répond à l’annonce d’un site Internet de mode qui cherche un stagiaire « senior ». De Niro se retrouve ainsi au milieu d’une bande de jeunes start uppers et d’une patronne qui pourrait être sa petite fille (jouée par la pétillante Anne Hathaway). A partir de là, l’histoire est plutôt simple et téléphonée mais franchement distrayante.
D’un point de vue managérial, « Le Nouveau Stagiaire » est particulièrement intéressant dans la mesure où désormais, le marché du travail rassemble cinq générations. Dans des proportions diverses, il est vrai :
- La « génération X » (personnes nées de 1965 à 1980) est la plus présente sur le marché du travail avec un peu plus d’un tiers des actifs,
- Les « Millennials » ou « génération Y » (1981-1996) les suivent de peu,
- Les « baby-boomers » (1946-1964) ne représentent plus qu’un actif sur cinq,
- La « génération Z » (1997-2012) fait progressivement son entrée sur le marché de l’emploi,
- La « génération silencieuse » (1928-1945), enfin, avec encore un actif sur 100.
Comme dans « Le Nouveau stagiaire », il y a beaucoup de clichés dans cette classification. Mais il y a aussi des intuitions qui appellent une certaine vigilance.
On dit par exemple des Millennials que le sens au travail est particulièrement important, dans un contexte où les recherches en sociologie ont pu mettre en exergue un certain tropisme français quant à notre rapport au travail. Les enquêtes semblent converger vers une capacité à s’engager pour des missions qui ont un réel impact. Ils prêteraient également une grande attention à la dimension collaborative et co-créative de la culture d’entreprise. Mais quand bien même ces conditions seraient réunies, l’engagement de la Génération Y semble avoir ses limites : Deloitte a réalisé une enquête en 2018 sur un panel de 10 000 Millennials de 36 pays qui montre que leur projection sur un emploi se situe entre 2 et 5 ans grand maximum. D’où l’importance pour les organisations de miser sur des parcours et évolutions de carrière attractifs. Car n’oublions pas qu’à l’horizon 2025, cette génération représentera 75% des travailleurs dans le monde !
La Génération Z, elle, n’est pas encore assez connue pour en tirer des conclusions définitives. Elle commence tout juste à investir le marché de l’emploi. Pour autant, elle semble déjà bousculer un certain nombre de codes. Dont, parait-il, un degré limité pour la patience : si les Millennials sont à la recherche de plus de sens, d’équilibre et de flexibilité, la nouvelle génération partirait du principe que ces éléments devraient être acquis… Autant dire qu’en matière d’engagement, l’impact du management pourrait là encore être primordial. Même pour les plus jeunes des Millennials, travailler avec un représentant de la Génération Z, cela implique généralement d’adopter une posture managériale de coach, plus que d’encadrant hiérarchique au sens classique. Beaucoup de managers concernés indiquent également qu’il ne faut pas avoir peur de la critique et, disons-le, d’une forme de spontanéité parfois déroutante.
Enfin, il s’agirait d’une génération moins encline que la précédente à gravir les échelons en accédant à une position d’encadrement. Le management, ce n’est pas forcément leur tasse de thé. Et puis, de toute façon, la projection à long terme dans l’entreprise n’est pas leur crédo. Les carrières linéaires sont ringardisées au profit de la multiplication des initiatives, prises de risques et expériences.
Ce qui invite à s’interroger un peu sur la façon dont on accompagne le départ du collaborateur. Comme on l’a vu, engager ses équipes implique de comprendre ce qui « parle » à chacun et ce que chacun valorise comme une « carrière réussie. »
L’engagement : jusqu’à la fin ?
On l’a vu : engagement et marque employeur sont liés. Un ancien collaborateur est potentiellement un ambassadeur de l’organisation, voire de votre propre Direction/service/équipe… C’est une raison très pragmatique pour soigner les départs. Il y a aussi une utilité à le faire : le retour d’expérience d’un collaborateur qui s’en va est une source d’information importante. Les indices qu’il peut donner sur ce qui a été perçu positivement ou négativement peuvent aider à améliorer les conditions de l’engagement des collaborateurs qui restent, et des futurs collaborateurs.
Pourtant, on a moins l’habitude des « exit interviews », au contraire des entretiens de recrutement. Et lorsqu’ils sont pratiqués, dans les deux tiers des cas ils ne donnent ni lieu à des actions de suivi, ni à un partage avec les décideurs clés. C’est ce que reproche Boris Groysberg, professeur à la Harvard School Business.
Dommage en effet puisque, même si le départ se fait dans des circonstances apaisées, ces séquences sont l’occasion de repérer des signaux faibles, des problématiques organisationnelles ou d’autres difficultés qui pourraient être corrigées, ainsi que les points positifs sur lesquels capitaliser.
Mais c’est sans doute plus facile à dire qu’à faire : pour Groysberg, les exit interviews ne sont utiles que dans la mesure où l’échange est franc. Or, les biais peuvent exister et nuire à la qualité de l’information, ce qui peut être un problème pour l’image de l’employeur à l’heure où des solutions émergentes comme celle proposée par Glassdoor permettent de noter le management des entreprises (sur ce sujet, voir le billet A votre santé ! Innovation managériale, santé et qualité de vie au travail).
« Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles les collaborateurs peuvent faire preuve de retenue quand ils sont sur le départ. Certains sont pressés par le temps, le départ approchant, ou peu motivés à faire un travail introspectif et rétrospectif. Ils peuvent ne rien vouloir dire de négatif sur un manager qu’ils appréciaient, voire ne rien vouloir dire du tout sur un manager qu’ils n’aimaient pas. » Boris Groysberg et Everett Spain, Making Exit Interviews Count, Harvard Business Review
C’est la raison pour laquelle il peut être plus facile à la DRH de réaliser ces entretiens. A condition qu’il y ait un vrai climat de confiance, garanti notamment par le caractère confidentiel de l’entretien. Mais certains managers le pratique déjà et à leur niveau. Dans ce cas, il s’agit généralement de managers qui sont déjà dans une dynamique d’échanges continus avec leurs collaborateurs. L’entretien de départ n’est alors qu’un temps « en plus », qui vient clore la collaboration.
Car il ne faut pas oublier que le départ d’un collaborateur, s’il est parfois vécu comme un échec (« je n’ai pas su le garder… »), fait partie de la vie normale d’une équipe. D’ailleurs, faut-il que tous les collaborateurs soient engagés ? Y a-t-il une obligation morale à s’engager ? Y a-t-il des risques à trop s’engager ?
Eh bien ce sera justement le sujet du prochain billet du manager., en partenariat avec le Lab’AATF. Stay tuned. 😊


POUR ALLER PLUS LOIN :
- « L’implication (ou l’engagement ?) au travail : quoi de neuf ?« , Brigitte CHARLES-PAUVERS et Brigitte CHARLES-PAUVERS
- « La mobilisation des troupes : quoi, pourquoi et comment?« , Michel TREMBLAY, Gestion 2005/2 (vol 30)
- « L’engagement. Envies d’agir, raisons d’agir« , Jean-Philippe PIERRON, Sens-Dessous 2006/1 N°0
- « Making Exit Interviews Count« , Everett SPAIN et Boris GROYSBERG, Harvard Business Review, 2016
- » Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications« , Shalom H. Schwartz, Revue Française de Sociologie, 2006/4 (vol 47)
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