Il y a peu, la déroutante Afida Turner a suscité la polémique en comparant le confinement à sa participation à la saison 2 de Loft Story. C’était en 2002 et la France venait tout juste de découvrir, un an auparavant, un tout nouveau genre télévisuel. La téléréalité faisait ses premiers pas avec une version adaptée d’un programme néerlandais appelé « Big Brother ». Son réalisateur John de Mol s’était lui-même inspiré d’une expérience scientifique dans laquelle plusieurs chercheurs s’étaient enfermés dans une biosphère pour observer un écosystème en dehors de toute intervention extérieure.
Si vous ne connaissez pas Afida Turner, ou Leslie, ou Leslie Mess – quels que soient ses divers pseudonymes, ce n’est absolument pas inquiétant. Célèbre uniquement dans certains cercles, elle a au mieux laissé quelques traces dans la mémoire des enfants de la télé nés dans les années 1980, comme moi. La faute en particulier à sa sortie du Loft, seulement 4 semaines après son entrée. Une sortie culte : fracassante et violente de vacuité. Et un gros pétage de plomb, car comme beaucoup d’autres candidats des premières heures, peu sont sortis indemnes de cette expérience.
La comparaison est donc d’autant plus absurde que les circonstances actuelles sont autrement plus dramatiques. Car beaucoup d’entre nous l’avons vécu dans nos cercles familiaux et amicaux : qui un décès, qui un enterrement auquel on n’aura pas pu aller, qui un proche âgé et dépendant que l’absence de visites aura laissé dépérir…
Mais heureusement, l’expérience aura aussi été ponctuée de petits et de grands bonheurs : des guérisons, et des amies qui accouchent et plus modestement, des retrouvailles par téléphone, par mails, par textos – car on aura beaucoup pensé au temps qui passe et qui, peu à peu, devient le temps qui reste.
Pas étonnant, donc, que tout au long de cette période si inédite, collaborateurs comme managers soient passés par des montagnes russes d’émotions. Mais le déconfinement apportera lui aussi son lot d’impacts émotionnels. Les psychologues sont formels !
Alors comment aborder cette nouvelle étape de la crise du COVID-19 ? Les collaborateurs ont-ils encore la force de se mobiliser ? Comment organiser la reprise des activités – si tant est que nous puissions parler de « reprise » ? Et comment structurer notre vie collective et continuer à « faire équipe », tout en garantissant la sécurité de nos collaborateurs ?
Les enjeux sont de taille puisque ce sont près de 700.000 entreprises de toute taille qui auront été temporairement à l’arrêt pendant le confinement.
Le déconfinement : un retour à la normale ?
Commençons par une petite mise au point. Le premier ministre a présenté un calendrier de déconfinement étalé dans le temps. D’abord, une première phase consistant en une reprise progressive de certaines activités et la fin des attestations dérogatoires à compter du 11 mai. Ensuite, une deuxième phase à partir du 2 juin, dont les contours ne sont pas encore définis.
Dans ces conditions, peut-on déjà parler de retour à la normale ?
Eh bien un retour à la normale correspondrait en réalité au stade 4 du Plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale. L’objectif de ce stade 4 est de « revenir à la situation antérieure ». Il intervient (très logiquement !) après le stade 3 qui, lui, correspondant au pic pandémique.
Chronologiquement, le retour à la normale constitue donc la dernière étape avant la fin de la crise. Mais les inconnues sont encore grandes – y compris sur un éventuel nouveau confinement en cas de nouveau pic pandémique. La sortie de crise n’est donc pas vraiment déjà au rendez-vous.
Pour autant, de nombreuses questions opérationnelles se posent pour les employeurs et les managers devant l’étrange période transitoire qui nous attend.

Voici venu le temps des PRA.
Certes il existe un cadre national pour accompagner le déconfinement, par exemple à travers les Protocoles sanitaires pour la réouverture des écoles, collèges et lycées ou encore le Protocole national de déconfinement pour les entreprises, réalisé par le Ministère du travail. Mais il n’y aura pas d’organisation uniforme du déconfinement sur l’ensemble du territoire. Il reviendra également aux employeurs d’organiser à leurs niveaux la vie de l’entreprise.
Certaines organisations ont d’ailleurs poursuivi leurs activités pendant le confinement, à tout le moins une partie de leurs activités. C’est le cas des collectivités territoriales par exemple, soumises à l’impératif de continuité du service public – un impératif qui s’est concrétisé à travers les plans de continuité d’activité ou PCA (voir le précédent billet « Confinement vôtre : manager depuis chez soi »).
Désormais, les PCA cohabitent avec les PRA, les Plan de reprise d’activités. La différence ? Les PCA expliquent comment procéder pour que l’activité de l’organisation soit maintenue pendant la crise. Les PRA sont les feuilles de route qui guident la reprise d’activité après un sinistre majeur – une crise pandémique, par exemple.
« Alors que la mise en œuvre des plans de continuité d’activité s’est faite dans l’urgence, la priorité a été d’anticiper les plans de reprise d’activité, de les construire et d’envisager toutes les éventualités. Dans ce cadre, le PRA a pu être l’occasion de renouer le dialogue social », observe Guy Decloquement, Directeur de la prévention au centre de gestion du Nord dans un entretien à la Gazette des communes

Les questions qui se posent
Concrètement, les PRA organisent la poursuite du travail sur les prochaines semaines, voire sur les prochains mois, entre maintien du télétravail et retours sur site lorsque cela est nécessaire. En effet, même si le mot d’ordre de l’Etat est de maintenir autant que faire se peut le télétravail, la réalité de nombreuses entreprises et organisations est plus complexe.
Dans le secteur public en particulier, une présence de terrain est nécessaire pour un certain nombre de services aux usagers. La présence sur place de collaborateurs doit alors s’articuler avec les impératifs sanitaires : distribution et port de masques de protection et autres équipements de protection individuelle (EPI), fourniture de gel hydroalcoolique, réaménagement des espaces de bureaux, réorganisation des règles d’utilisation des espaces communs et des véhicules de service, renforcement du nettoyage des points de contacts (comme les boutons d’ascenseurs, par exemple, et les poignées de porte…), roulement des équipes pour éviter qu’elles ne se croisent, aménagement des horaires, etc.
Chaque employeur va donc prendre ces décisions en fonction de son propre contexte et de ses propres contraintes, parfois en s’inspirant de ce qui se fait chez le voisin.
« Il est intéressant de s’inspirer de la méthode du déconfinement des entreprises de Chine, premier pays sorti du confinement. Mais cela ne suffira pas… car nous en sommes en France et chaque entreprise est différente par son activité, la diversité de sa population, de sa culture mais également des réglementations en vigueur en droit social ou droit des sociétés. » Latifa Hakkou, secrétaire générale de l’Association des Directeurs de l’Environnement de Travail (ARSEG) dans un entretien à latribune.fr

Un casse-tête
Cette organisation relève d’un vrai casse-tête pour les employeurs et les managers. Car il faut aussi prendre en compte les situations personnelles des uns et des autres.
Les parents, par exemple, sont soumis aux contraintes liées à la réouverture progressive et aux nouvelles règles de fonctionnement des écoles, collèges et lycées. Sans compter que beaucoup d’entre eux ne sont a priori pas très chauds pour renvoyer leurs enfants à l’école : un récent sondage Odoxa-Dentsu Consulting montrait que 64% des parents d’élèves envisageaient de ne pas « rescolariser » leur progéniture.
Il y a aussi le cas des collaborateurs considérés comme personnes « à risques ». Il s’agit des personnes chez qui on identifie un risque de complications graves en cas de contamination du COVID-19. La liste s’est faite de plus en plus précise au fur et à mesure que les scientifiques ont appris à connaître le virus : les femmes dans leur 3e trimestre de grossesse, un certain nombre de personnes atteintes d’affections longue durée (ALD), les personnes souffrant d’obésité, etc. A priori pas de question à se poser pour le manager : ces collaborateurs doivent rester à la maison. Des procédures spécifiques ont d’ailleurs été mises en place dans le cas où le télétravail n’est pas possible.
Mais lorsque les activités sont télétravaillables, la situation n’est pas si simple pour autant. L’isolement peut peser et des retours font état de situations de solitude émotionnellement préoccupantes. En gros : on sait que pour certains collaborateurs à risque, malgré la probabilité plus élevée de contracter une forme sévère du COVID-19, un retour sur lieu de travail, ne serait-ce qu’un jour dans la semaine, permettrait de rompre un isolement dévastateur sur le plan psychique.
Mais peut-on réellement prendre ce risque ?

La réponse ne va pas de soi. Et les retours du terrain indiquent que les collaborateurs se tournent naturellement vers les managers pour avoir des réponses. Et force est de constater qu’ils sont beaucoup à être anxieux.
L’impact émotionnel de la crise
En parlant d’anxiété, on se souviendra peut-être du tout premier Alien, celui de 1979. Dans ce film culte de Ridley Scott, la sculpturale Sigourney Weaver campe le rôle d’Ellen Ripley, membre de l’équipage du cargo spatial Nostromo. A bord, un ennemi extraterrestre qu’on ne voit quasiment jamais mais ô combien fatal. Et un univers très anxiogène : un huis clos dans un immense vaisseau isolé dans l’espace… Une situation qui est pourtant vécue de façon très différente d’un membre de l’équipage à l’autre.

C’est justement cela, le problème, avec le confinement : chacun l’aura vécu de façon différente. Mais quoiqu’il en soit, il y aura eu un impact émotionnel.
L’isolement, combiné aux déséquilibres entre les temps personnels et professionnels et à l’incertitude, constitue notamment l’un des facteurs de risques psychosociaux (RPS) qui inquiète le plus les employeurs. Une étude récente conduite par OpinionWay a ainsi révélé que près d’un salarié français sur deux présentait des signes de « détresse psychologique » après « seulement » trois semaines de confinement. On notera au passage que l’enquête fait état de 20% des managers dans le même état psychologique.
Mais ce n’est pas tout.
Il y a quelque chose d’Alien dans cette crise pandémique. Les psychologues l’ont beaucoup expliqué : la confrontation à un ennemi invisible provoque un sentiment très primitif de peur. Un sentiment qui se traduit par des réactions différentes selon les sensibilités, les contextes et les passifs : des stratégies (involontaires) de repli sur soi, des angoisses, des problèmes de sommeil, de l’agressivité ou encore de véritables crises de panique.
Bref, autant d’éléments qui sont difficiles à lire pour un manager qui ne dispose même plus des apports de la communication non verbale. Comme me le disait une collègue récemment : « le matin au bureau, au moins tu vois si ton collaborateur n’a pas l’air dans son assiette. » A distance, c’est quasiment impossible. D’où des situations d’incompréhensions de part et d’autre, et de nouveaux conflits potentiels au sein de l’équipe.
Enfin, de la même façon qu’Ellen Ripley n’a plus jamais été la même après avoir débarqué du Nostromo, les collaborateurs ne sortiront pas indemnes du déconfinement lui-même. Après une longue période d’isolement, la peur d’être contaminé au contact des autres sera mise en balance avec la joie de potentielles retrouvailles avec les collègues. Des réactions d’agressivité pourront accompagner les interactions sociales, si par exemple un collègue ne respecte pas les mesures de distanciation physique ou le port du masque…
Avec un avenir encore pavé d’une bonne dose d’incertitudes, la première étape va donc être de rassurer les collaborateurs, autant que faire se peut.
A court terme : écouter et rassurer
Le plus simple, ce serait de faire comme si de rien n’avait été. Surtout quand on n’est pas hyper à l’aise avec la gestion des émotions.
L’enjeu de la reprise économique et l’enjeu politique font par ailleurs peser une lourde pression sur les managers. Dans les collectivités, on sait que les exécutifs sortants seront aussi jugés sur leur gestion de la crise aux prochaines élections et leur proactivité pour aider le tissu économique, social, culturel, etc. sur leurs territoires. La question du rattrapage du retard éventuel des dossiers non gérés va donc sans doute se poser avec insistance. Sans compter de nouvelles initiatives et projets à absorber pour les équipes.
C’est pourquoi le psychologue Adrien Chignard alerte quant à la posture managériale qui consisterait à faire comme si les quelques mois qui viennent de s’écouler n’avaient été qu’une parenthèse. Et d’autant plus qu’on est sur un déconfinement très relatif, pour le moment.
Cette posture serait particulièrement mal accueillie par les collaborateurs. Dans une interview au magazine Psychologies, il insiste au contraire sur la nécessité de prendre le temps de faire un point avec son équipe sur la période qui vient de s’écouler. C’est, nous dit-il, une forme de reconnaissance de la situation passée et des efforts fournis.
Ne pas passer par cette étape pourrait être perçu comme une sorte de violence verbale et symbolique. Car même si le collaborateur a été privé de son outil de travail, le confinement ne peut pas être comparé à des vacances. En effet, la période a pu être très mal vécue par les personnes privées de travail : certains ont par exemple pu se sentir « oubliés » ou « pas reconnus ».
Les managers sont également très attendus sur le soutien organisationnel. C’est, précise Adrien Chignard, le rôle et la légitimité du manager d’y répondre (encore faut-il que l’employeur puisse leur donner les clés de compréhension de ce qui va se passer pour l’organisation dans les semaines à venir, serais-je tenté d’ajouter – ce qui n’est pas toujours facile).
Pour mettre cela en application, les chercheurs Mounia N. Hocine, Anne-Sophie Godon-Rensonnet et l’ingénieur en gestion des risques Jérôme Lanfranca, proposent un certain nombre d’actions , au premier chef desquelles des entretiens collectif et individuel pour identifier les éventuelles craintes et difficultés des collaborateurs.
Cela implique bien sûr une collaboration étroite entre les Directions des ressources humaines et l’ensemble de la ligne managériale – en particulier le management de proximité qui doit être outillé (trame de questionnaire, par exemple).

Actionner les leviers de mobilisation
Pour faire simple, le déconfinement appelle à sanctuariser l’étape du dialogue entre le manager et chacun de ses collaborateurs. Comme on l’a vu, il s’agit d’une phase d’écoute sur la période écoulée, mais aussi de clarification organisationnelle. Et puis, il va aussi s’agir de remobiliser les troupes pour une période transitoire amenée à durer…
Un avantage : les salariés français sont engagés
Il serait dommage de n’être que négatif dans ce billet. Malgré la crise, la France peut se targuer de compter sur des salariés engagés « par nature » et c’est une bonne nouvelle. Il faut s’en réjouir !
C’est en tout cas l’enseignement à tirer de l’édition 2019 de l’enquête de l’Observatoire de l’engagement de l’université Paris-Dauphine.
Fruit d’un partenariat avec Opinion Way, l’étude permet d’avoir des indications sur le niveau d’engagement des salariés perçu par leurs managers de proximité, ce qui a priori réduit le biais de l’auto-évaluation.
Sur un échantillon représentatif des managers de proximité français, 81 % d’entre eux perçoivent le niveau d’engagement de leurs collaborateurs « élevés ».

Il s’agit donc d’un atout sur lequel employeurs et managers peuvent s’appuyer, malgré la tempête.
Mais si les bases sont saines, il n’en reste pas moins qu’après 2 mois de confinement, beaucoup de collaborateurs sont épuisés… D’où l’importance de réactiver certains leviers d’engagement.
Accompagner le processus de résilience
Compte tenu des circonstances, remobiliser les troupes, c’est d’abord les accompagner dans une démarche de résilience.
Emprunté à l’anglais et issu du latin resilire qui signifie rebondir, rejaillir, la résilience désigne en psychologie « l’aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques » (Larousse).
Pour Boris Cyrulnik,le psychiatre qui a popularisé la résilience en France, celle-ci s’applique non seulement aux personnes mais aussi aux organisations. Le trauma, explique-t-il, peut être collectif et individuel. En cela, il concerne l’organisation en elle-même comme les collaborateurs qui la composent.
Et cette double dimension, individuelle et collective, a son importance justement.
En effet, pendant le confinement, chacun aura individuellement développé ses propres mécanismes de résilience. Mais nous sommes inégaux face à ce processus.
« Ceux qui avant la crise avaient acquis des facteurs de protection (confort matériel, culturel, affectif et familial) vont faire un effort mais surmonteront l’épreuve et pourront facilement déclencher un processus de résilience. D’autres sont plus fragiles, plus vulnérables, car ils ont acquis moins de ressources internes par le passé. Ils risquent de ruminer, d’être réellement traumatisés et de foncer droit dans le mur. » Boris Cyrulnik dans le Courrier des cadres du 20 avril 2020
Il faudra donc accompagner ces collaborateurs plus fragiles pour surmonter les dégâts causés par la crise. Pour les faire entrer dans ce processus, explique Boris Cyrulnik, il appartiendra aux managers et aux Directions des ressources humaines de soutenir ces personnes.
Comment ? En mettant en place les outils permettant de renouer les liens humains et les interactions sociales – ce qui reste un challenge tant que le déconfinement total n’a pas eu lieu. Il invite aussi à multiplier les feedbacks collectifs sur ce qui a fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné pendant le confinement – avec les équipes, comme on l’a vu, mais aussi entre managers. Cette dynamique permettra selon lui d’aboutir à un « nouveau schéma de développement », qui tire les enseignements du passé.

Manager le sense making
Concrètement, l’accompagnement dans ce processus de résilience peut par exemple commencer par l’une de ces fameuses réunions d’équipe. Ça peut se passer le jour du retour, comme le suggère Adrien Chignard. Elle peut aussi s’imaginer à distance, ou dans une configuration mixte, en fonction des réalités de chaque équipe.
Comme on l’a vu, ce temps va consister pour chacun à mettre sur la table la façon dont il aura vécu le confinement. Ce faisant, que se passe-t-il ?
Eh bien, nous dit Adrien Chignard, l’équipe va reconnaître que les ressentis n’auront pas toujours été les mêmes chez les uns et chez les autres.
« L’enjeu est que chacun puisse exprimer son histoire singulière de confinement. Déjà, cela permet de se sentir moins lourds. Et de comprendre ce avec quoi chacun revient et donc de mieux comprendre les émotions et réactions à venir de chacun. », Adrien Chignard, dans un entretien au magazine Psychologies
Mais encore, les échanges pourront permettre de lever certaines incompréhensions, des décisions mal perçues, ou des réactions inexpliquées… De sorte qu’en convenant de ce qui collectivement a fonctionné ou pas pendant le confinement, l’équipe va tirer les conclusions de ce vers quoi la collaboration à venir doit tendre.
A travers ces interactions, l’équipe va donc peu à peu retrouver des repères et remettre du sens sur les actions passées et à venir. C’est ce que le psychologue américain Karl Emmanuel Weick théorise sous le terme de sense-making.
Et les bénéfices pour l’équipe sont substantiels : diminution du stress, motivation, confiance et engagement.
Etablir de nouveaux rituels
Pendant le confinement, l’équipe aura adapté ses rituels : réunions de service sur TEAMS ou Skype, boucles WhatsApp pour la gestion des urgences, réseau social interne pour la convivialité… Les initiatives sont nombreuses et souvent très créatives !
Pour autant, avec le déconfinement, ces rituels vont sans doute devoir à nouveau évoluer et s’adapter. D’abord s’adapter à la période transitoire qui va nous forcer à cohabiter avec le virus. Mais aussi s’adapter aux nouvelles envies et aspirations du collectif.
Cela peut être l’occasion d’en revoir certains d’entre eux, comme la pratique du feedback, l’entretien annuel, la réunion d’équipe, etc.
D’autant plus que ces temps forts sont des moments clés pour l’animation managériale. Ils permettent de poser le cadre de la collaboration, de piloter l’activité et la prise de décision… Mais ils contribuent également au « faire équipe », si tant est que chacun puisse s’y exprimer librement.
C’est pourquoi les rituels managériaux sont un levier d’engagement et de performance à ne pas négliger.
Lâcher du lest
Pendant le confinement, on a pu observer des disparités entre les organisations déjà habituées au télétravail, par exemple, et celles qui ont dû s’y mettre du jour au lendemain.
Certaines organisations comme la Région Ile de France étaient clairement mieux armées pour y faire face : le télétravail s’était généralement accompagné d’un large renouvellement des pratiques managériales.
Dans d’autres organisations, le confinement aura malheureusement été un révélateur de pratiques managériales peu reluisantes.
On peut par exemple penser à ceux des managers qui privilégient le micro-management à la délégation et la responsabilisation des équipes. Contrôle systématique de tout ce que produisent les collaborateurs et, ce, jusqu’à la virgule mal placée, délégations sans marges de manœuvres, reporting à outrance… les exemples sont nombreux.
A la décharge de ceux qui le pratiquent, le micro-management est parfois alimenté par la structure elle-même. La taille et la culture de l’organisation peuvent en effet jouer un rôle. C’est par exemple le cas lorsque l’entreprise n’autorise pas le droit à l’erreur (sur le droit à l’erreur : On n’est pas des Shadoks).
Mais cela est de plus en plus documenté : le coût du micro-management est lourd pour l’organisation. D’abord, il démotive les collaborateurs et nuit à leur capacités d’innovation. Ensuite, du côté du manager, ce mode de faire pèse sur sa performance : contrôler les détails prend du temps et de l’énergie. C’est aussi un facteur de RPS puisque le micro-management implique d’être partout à la fois, mobilisé sur tous les fronts.
Or, la question du bon niveau de contrôle est essentielle au bon fonctionnement de la relation managériale car la confiance est le ciment de la collaboration et, ce, encore plus en télétravail (voir le précédent billet Confinement vôtre : manager à distance). Et si 30 % de salariés télétravaillaient précédemment à la crise, ce sont 62% d’entre eux qui voudraient en faire plus après le confinement (source : l’ADN innovation).
Mais sortir du micro-management n’est pas facile. Il faut un certain courage pour infléchir ses pratiques managériales. Il y a pourtant une opportunité à saisir puisque cette évolution peut s’inscrire dans le processus de résilience qu’on évoquait. A travers les mises au point collectives, la fixation du cadre de la collaboration future, les nouveaux rituels, etc. Et n’oublions pas qu’il est aussi possible de se faire accompagner : formations, coaching, co-développement, mentoring…
Dire merci
Cela peut paraître bateau, mais la reconnaissance au travail reste un facteur de motivation essentiel.
D’autant plus qu’il se vit au quotidien pour les équipes, alors que son coût est relativement faible pour le manager. En effet, cela passe avant tout par des mots simples et des gestes, pas forcément par de grosses célébrations. On peut bien sûr imaginer des rituels plus « extra-ordinaires » pour les réussites exceptionnelles (par exemple, la fin d’un projet). Mais les équipes sont attentives aux marques de reconnaissances de tous les jours, pour les efforts fournis au quotidien.
Un point de vigilance sur lequel beaucoup de managers reviennent : on dit souvent qu’un simple « merci » suffit. Mais si l’objectif du manager est d’accompagner la montée en compétences de son collaborateur, la gratitude appelle en fait à s’exprimer de façon un peu plus précise que ça. L’idéal est en effet d’expliquer dans son feedback ce pour quoi on remercie son collaborateur. Cette objectivation lui permettra de capitaliser sur ces points, et d’identifier aussi ses marges d’amélioration.
Autre retour de managers passés par là : trop de « mercis » tue le « merci ». Tous les efforts ne se valent pas. Rien n’interdit donc de moduler l’expression de sa gratitude…
Explorer le concept de « communication non violente »
Ce billet a commencé avec un moment culte de la télévision française. Pour le conclure sur une touche moins trash, on se souviendra peut-être aussi du gros, gros, très gros coup de colère d’Alain Finkielkraut lors d’un débat avec le scénariste Abdel Raouf Dafri. C’était lors de l’émission « Ce soir (ou jamais !) » sur France télévision. Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, voici une piqûre de rappel :
Tel un philosophe en colère, nous traversons tous des émotions et il est parfois difficile de se maîtriser quand on pense que son interlocuteur est nul, que les collaborateurs travaillent mal ou que son propre manager n’est jamais disponible quand il faut… Dans de telles situations, le ressenti prend souvent le dessus et c’est la collaboration qui trinque.
La « communication non violente (CNV) » peut aider le manager à mieux maîtriser ce risque qui, on l’a vu, est particulièrement exacerbé en ce moment.
Mise au point dans les années 1970 par le psychologue américain Marshall Rosenberg, la communication non violente a pour objectif de dire les choses, dans le respect entre les individus. L’objectif est de favoriser une coopération durable. C’est tout l’art du « parler vrai », en somme.
La méthode implique de développer ses soft-skills en travaillant notamment son sens de l’empathie. Cette démarche d’introspection peut être un peu déroutante à prime abord, mais elle semble porter ses fruits. Le processus permet en effet de distinguer les faits des opinions, d’être clair en disant les choses, tout en restant attentif à l’autre.
C’est aussi une bonne façon de retrouver de la sérénité dans ses interactions. Alors petit cadeau pour terminer cette lecture sur une touche de fraîcheur bucolique :
Ce billet vous a été proposé par le Billet du manager, en partenariat avec le Lab’AATF 🙂

